
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie).
Le 27 janvier, le groupe rebelle congolais M23 a occupé Goma, capitale du Nord-Kivu, affirmant vouloir protéger la population locale. Le 16 février, ses forces sont également entrées dans Bukavu, capitale du Sud-Kivu. Derrière cette justification officielle de défense des civils se cache en réalité la résurgence d’une ancienne milice tutsie, déjà responsable de la prise de Goma en 2012.
Les racines du conflit remontent à l’époque coloniale. Les Tutsis congolais, séparés de leurs cousins rwandais par les erreurs de l’administration belge entre 1905 et 1960, ont ensuite été impliqués dans la grande guerre civile transafricaine (1996-2006). Aujourd’hui, le véritable chef du M23, Sultani Makenga, est un Tutsi originaire du Nord-Kivu, ancien sous-officier du Front Patriotique Rwandais (FPR), le mouvement au pouvoir à Kigali depuis 1994. Après un passage dans l’armée congolaise, Makenga a fondé le M23 en 2012, suivant un parcours commun à de nombreux combattants de la région.
Le président rwandais Paul Kagame a utilisé le M23 comme un instrument politico-commercial, soutenant prudemment le groupe rebelle et se retirant lorsque le poids des sanctions internationales (470 millions de dollars) devenait trop lourd. Cependant, son approche a changé en 2023, lorsqu’il a constaté que l’Occident tolère désormais l’occupation d’États souverains, comme en Ukraine, et que les réactions seraient limitées.
L’impuissance du gouvernement congolais
Conscient de la faiblesse de l’armée congolaise (Forces Armées de la République Démocratique du Congo, FARDC), le président Félix Tshisekedi a tenté de renforcer la défense nationale en recrutant des mercenaires étrangers.
En 2023, il a confié l’entraînement des troupes à un ancien officier de la Légion étrangère française, le Roumain Horatiu Porta, qui a constitué un contingent d’environ 1 000 hommes, principalement composé de mercenaires d’Europe de l’Est (Roumains et Bulgares), d’anciens combattants anti-Kagame et de quelques Congolais. Cependant, à l’approche des troupes rwandaises, le groupe s’est retiré sans combattre, préférant négocier plutôt que d’affronter l’ennemi sur le terrain.
Parallèlement, Tshisekedi avait engagé un ancien officier sud-africain d’origine zouloue, Robert Gumede, accompagné d’un ex-membre des forces de sécurité sud-africaines, Ivor Ichikowitz. Les deux hommes avaient promis de recruter et former 40 000 soldats, un chiffre irréaliste compte tenu de l’état des infrastructures militaires dans l’est du Congo. Finalement, les deux ont disparu sans laisser de traces, après avoir encaissé un acompte pour une mission impossible à réaliser.
Aujourd’hui, le gouvernement congolais est complètement impuissant. Les FARDC se sont dispersées et ont fui vers le Sud-Kivu, laissant le Nord sous contrôle des rebelles. Une question se pose : le M23 et le Rwanda vont-ils répéter la stratégie de 1996, lorsqu’ils ont envahi tout le Congo (alors Zaïre) sous prétexte de neutraliser les anciens soldats rwandais ayant participé au génocide de 1994 ?
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L’intrigue Corneille Nangaa et l’ombre de Kinshasa
Un élément de réponse vient de Corneille Nangaa, ancien président de la Commission Électorale Indépendante congolaise, qui se trouve actuellement à Goma et a annoncé que l’objectif réel est Kinshasa.
Nangaa est une figure bien connue en RDC : en 2018, il a orchestré la fraude électorale qui a permis à Félix Tshisekedi d’accéder à la présidence, tandis que le véritable vainqueur, Martin Fayulu, était écarté avec la complicité tacite de la communauté internationale. Pour cette opération, Nangaa devait recevoir un pot-de-vin de la part de Joseph Kabila, mais l’argent ne lui a jamais été versé, alimentant ainsi son ressentiment.
Mis à l’écart des cercles de pouvoir à Kinshasa, en décembre 2023, Nangaa a fondé l’Alliance du Fleuve Congo (AFC), un parti d’opposition composé de technocrates et d’intellectuels, mais dépourvu d’une base populaire. Avec la relance des opérations du M23 et l’effondrement de la Françafrique, Paul Kagame a vu l’opportunité de renforcer son influence en RDC, profitant de la faiblesse du gouvernement congolais et de la distraction des puissances occidentales focalisées sur l’Ukraine.
Goma tombe sans résistance : Une nouvelle invasion ?
Le 27 janvier, la prise de Goma s’est faite sans affrontement majeur :
- Les mercenaires roumains ont refusé de combattre
- Les FARDC se sont dispersées dans la panique
- Les Sud-Africains, seule force réellement capable de résister à l’M23, ont été rapidement écrasés faute d’armes lourdes
Les principales victimes ont été les civils, en majorité des réfugiés ayant fui les combats des mois précédents. Corneille Nangaa est entré dans la ville avec le soutien du M23, proclamant son intention de marcher sur Kinshasa, une opération impossible sans un soutien militaire direct du Rwanda.
Kagame veut-il vraiment Kinshasa ?
Techniquement, le Rwanda pourrait avancer jusqu’à la capitale congolaise. Cependant, une occupation directe de Kinshasa reproduirait le scénario de 1997, lorsque Kigali contrôlait la RDC grâce à une force auxiliaire, l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL).
Mais aujourd’hui, la situation est différente. L’AFC de Nangaa ne possède pas de véritable force militaire, alors qu’en 1997, Kagame bénéficiait du soutien de la communauté internationale, qui considérait le Rwanda comme une victime du génocide de 1994. Aujourd’hui, son image est ternie par ses interventions au Mozambique et en République Centrafricaine, où son armée agit davantage comme une force mercenaire que comme une puissance stabilisatrice.
L’objectif réel : Contrôler les minerais et sécuriser l’est du Congo
Un affrontement direct pour Kinshasa serait un pari risqué pour Kagame. Son objectif plus réaliste est de sécuriser le contrôle des ressources minières et de créer une zone tampon à l’est du Congo, s’étendant du Nord-Kivu au Sud-Kivu.
Sans une réaction significative des puissances occidentales, le Rwanda pourrait maintenir une occupation de facto, récoltant les bénéfices économiques sans jamais déclarer une invasion officielle. Et tant que l’attention mondiale restera fixée sur l’Ukraine, personne ne se précipitera pour l’arrêter.
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