
Part Jean Daspry
« La démocratie est la pire forme de gouvernement, à l’exclusion de tous les autres » nous rappelle Winston Churchill. On se console comme l’on peut quand le vent mauvais nous emporte à la manière de Verlaine. Dans cette période d’incertitude que nous traversons, il est de bonne politique de se raccrocher à tout ce qui semble solide. La démocratie en fait partie en dépit de toutes ses lacunes, ses excès, ses insuffisances.
L’actualité nous en fournit des exemples réguliers à tel point qu’elle génère souvent interrogation, doute sur sa pertinence, son inefficacité par temps agité. Il semblerait que la vocation de la démocratie n’est plus d’inclure mais d’exclure, plus spécifiquement tout parti politique labélisé d’extrême droite, rarement pour ne dire jamais, les formations politiques d’extrême gauche, comme LFI[1]. Ces dernières sont vertueuses par essence. Nous retiendrons trois cas de figure qui illustrent une certaine approche curieuse de la démocratie par la bien-pensance européenne : Allemagne, France et Roumanie. Nous formulerons quelques remarques sur les trois derniers scrutins sur le continent.
Allemagne : On ne badine pas avec la constitution
L’information est tombée le 2 mai 2025 comme un couperet. Après trois ans d’enquête, l’Office fédéral de protection de la Constitution[2] estime que l’AfD[3] a « des aspirations contre l’ordre fondamental libéral et démocratique ». Formule assez cocasse qui pourrait justifier la surveillance rapprochée voire l’interdiction d’un parti en pleine expansion en passe de devenir le premier parti d’Allemagne ! Cet organisme gardien du temple démocratique allemand s’appuie sur un rapport de « plus de 1 000 pages ». Principal grief pour justifier cette mise à l’Index : « La conception du peuple basée sur l’ethnie et l’origine qui prévaut au sein du parti n’est pas compatible avec l’ordre fondamental libéral et démocratique ». « L’AfD ne considère pas, par exemple, les citoyens allemands issus de l’immigration de pays à majorité musulmane comme des membres équivalents du peuple allemand défini par le parti en termes ethniques ». Le BfV dénonce également « une agitation continue contre certaines personnes ou groupes de personnes »[4]. L’affaire est entendue. On ne plaisante pas avec la démocratie et l’état de droit de l’autre côté du Rhin après ce qui s’est passé avant et durant la Seconde Guerre mondiale à l’époque du Troisième Reich. L’AfD fait appel de cette décision.
Cette décision semble d’autant plus curieuse que ce parti classé à la droite de l’échiquier, n’a, à notre connaissance, jamais fait l’objet d’une interdiction (critère juridique) et a réuni 21 % des voix lors des dernières élections législatives en février 2025, derrière la CDU-CSU[5] (critère politique). En dehors de la réaction de l’AfD qui critique une « décision politique » qui constitue un « coup dur pour la démocratie allemande », celle qui est plus significative et sévère vient d’outre-Atlantique. En effet, le vice-président américain, J. D. Vance (dans la continuité de son discours à la conférence sur la sécurité de Munich du 14 février 2025) écrit : « L’Ouest a fait tomber le mur de Berlin. Et il est reconstruit – pas par les Soviets ou les Russes mais par l’establishment allemand ». Le secrétaire d’état américain, Macro Rubio accuse Berlin de « tyrannie ». Cette décision du BfV jette le trouble en Allemagne. Le chancelier sortant, le socialiste Scholz met en garde contre « une décision précipitée », que constituerait une interdiction de l’AfD sur le fondement de cette nouvelle classification, d’autant que les juges suprêmes du pays ont déjà rejeté toutes les demandes récentes d’interdiction. Et les conservateurs de la CDU du nouveau chancelier sont eux-mêmes divisés à ce sujet[6]. Au sein de l’Union européenne, les défenseurs des grands principes et autres valeurs restent curieusement silencieux. Un nouvel exemple d’indignation à géométrie variable. Le 8 mai 205, nous apprenons que la décision de classement comme extrémiste de droite est suspendue provisoirement. Curieux ![7]
Au rythme où vont les choses, ce genre de décision constitue le meilleur carburant pour l’AfD à l’avenir !
France : On ne badine pas avec le droit positif
Hier, la justice agit avec une célérité à laquelle elle ne nous avait pas habitué pour mettre hors-course le candidat François Fillon à l’élection présidentielle de 2017. Il sera déclaré coupable mais le calendrier judiciaire interfère avec le calendrier politique. Aujourd’hui, elle prend tout son temps pour appliquer avec rigueur le droit positif dans l’affaire des assistants parlementaires, hypothéquant sérieusement les chances de la représentante du Rassemblement national (RN) de se présenter à la présidentielle de de 2027. Certains mauvais esprits y voient – à tort ou à raison – l’influence d’un gouvernement des juges (de gauche). Il faut savoir raison garder. Une chose est certaine : les juges doivent appliquer la loi votée par le parlement (c’est son rôle en tant qu’autorité judiciaire et non de pouvoir judiciaire) mais le peuple doit rester souverain (conformément à la norme suprême qu’est la Constitution de 1958). Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. C’est ce que l’on appelle la séparation des pouvoirs. Comment respecter ce principe fondamental sans donner l’impression au citoyen que l’application de la loi serait à géométrie variable ? Le doute est mortel. Il engendre la méfiance à l’égard des politiques et des magistrats en vertu du « Tous pourris ». La question devrait donner lieu à une réflexion sereine en dehors de toute pression pour revigorer une démocratie française déjà bien abîmée. Le veut-on ? Le peut-on ? Nous n’en prenons pas le chemin.
Pendant ce temps, le président de la République reçoit le son homologue syrien, Ahmed Al-Charaa à l’Élysée le 7 mai 2025[8]. Oublié son appartenance à des groupes terroristes ayant le sang de nos compatriotes sur les mains. Le fait d’avoir succédé à un tyran ne fait pas d’Abou Mohamed al-Joulani un authentique démocrate. Reçu à Paris avec tous les honneurs dus à son rang, il donne l’impression d’être le maître du jeu[9]. Il sera reçu par Donald Trump à Riyad grâce à la médiation du prince MBS. Il lui accordera une levée des sanctions … sous conditions. Affaire à suivre … Encore un cas d’école de l’indignation à géométrie variable.
Au rythme où vont les choses, ce genre de décision constitue le meilleur carburant pour le RN à l’avenir !
Roumanie : On ne badine pas avec l’extrême-droite
Les faits sont têtus. Le candidat a changé – il s’appelle George Simion – mais l’extrême droite reste en tête : cinq mois après l’annulation choc du premier tour de la présidentielle, la Roumanie confirme dans un nouveau vote le 4 mai 2025 son virage nationaliste. Le candidat honni double le score de son prédécesseur, Cali Georgescu lors du premier tour[10]. Il passe de 20 à 40% des suffrages en dépit du matraquage médiatique européen stigmatisant le danger de ce parti et l’action souterraine de la Russie pour influencer le scrutin[11]. Cette campagne alimente toutes les fausses informations comme celle selon laquelle Moscou projetterait des actions violentes pour changer les cours de toutes les autres élections en Europe. Résultat, la Roumanie entre dans une nouvelle phase d’incertitude avec la démission de son Premier ministre Marcel Ciolacu, remplacé temporairement par le ministre libéral de l’Intérieur[12].
Lors du second tour de la présidentielle du 18 mai 2025, le candidat libéral, le maire centriste de Bucarest, Nicusor Dan connu (européen et atlantiste) pour son combat contre la corruption, l’emporte contre le candidat « nationaliste d’extrême droite », Georges Simion[13]. Mais, les médias de la bien-pensance minorent le score de ce dernier, 46% des voix[14] en dépit du chantage à la peur intérieur mais surtout extérieur (Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen, Volodymyr Zelensky …)[15]. Les faits sont têtus.
Au rythme où vont les choses, ce genre de décision constitue le meilleur carburant pour l’extrême droite roumaine à l’avenir !
P.M. : À propos des trois derniers scrutins !
Le même jour (18 mai 2025) qu’en Roumanie se tiennent des élections en Pologne[16] et au Portugal[17]. Même si les partis traditionnels l’emportent, l’extrême droite progresse au Portugal[18] et les droites dures en Pologne[19]. Il faudra bien un jour se poser la question cruciale des raisons profondes de cette poussée à droite dans tous les pays de l’Union européenne. La réponse est peut-être dans la fameuse maxime de Jacques-Bénigne Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes ». LFI ne veut pas comprendre ce qui se passe en Europe[20]. L’éminent éditorialiste du Monde semble avoir plusieurs trains de retard par rapport au monde réel, lui qui conclut son papier, sur cette phrase : « Il s’agit d’une dynamique européenne – et d’un signal inquiétant »[21]. Dans quel monde vit ce brillant folliculaire ? Le site mediapart continue de chevaucher des chimères[22]. Tous ces bons apôtres, surtout à gauche[23], ne veulent pas voir que l’on assiste en Europe à une grande volte-face sur l’immigration[24]. Ceci explique peut-être cela ![25] Curieusement, nos parangons de vertu de démocratie européens sont silencieux sur le cas de Boualem Sansal[26].
Les résultats du second tour de la présidentielle en Pologne, qui voit la victoire, d’une courte tête de Karol Nawroki, nationaliste souverainiste[27] donne lieu aux commentaires les plus excessifs du quotidien Le Monde[28]. Qui plus est, l’éditorialiste du journal du soir nous explique cette victoire est le résultat du vote des campagnes (les citadins étant plus intelligents que les ploucs) et de l’appui de Donald Trump au candidat maudit (oubliant l’appui de tous les « Fédérastes » à son opposant). Ce perroquet à carte de presse que le ciel européen est assombri par la montée de l’extrême droite[29]. Il est grand temps qu’il s’en aperçoive.
Décidemment, tous ces brillants sujets sont indécrottables. Ils ne comprennent rien aux évolutions des mentalités en Europe et préfèrent exposer à la vindicte populaire la responsabilité des médias ultraconservateurs[30].
Fin de la Démocratie et retour de l’intolérance ?
« Si le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple » déclare Berthold Brecht. N’est-ce pas à ce degré de contradiction que nous sommes parvenus aujourd’hui avec les mises à l’écart déguisées de partis politiques légaux au sein de la très vertueuse Union européenne sans parler des peuples[31] ? Le temps des Lumières semble désormais lointain. En particulier, celui d’un Voltaire qui disait : « Je déteste ce que vous dîtes, mais je défendrai jusqu’à la mort votre droit de le dire ». La nouvelle administration américaine critique vertement la mise sous séquestre de la voix des peuples pendant que l’Union européenne se félicite sous cape de la mise à l’écart de ces « fachistes ». Elle reprend de facto le slogan révolutionnaire : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Un fossé se creuse entre les deux rives de l’Atlantique. Ainsi, nous sommes confrontés à un nouvel obscurantisme dissimulé sous les oripeaux de la vertu outragée[32]. S’il revenait sur terre, Alexis de Tocqueville pourrait rebaptiser son œuvre maîtresse, De la démocratie en Europe !
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Charlotte Belaïch/Olivier Pérou, La meute. Enquête sur La France Insoumise, Flammarion, 2025.
[2] Bundesamt für Verfassungschutz (BfV), https://www.verfassungsschutz.de/DE/verfassungsschutz/bundesamt-fuer-verfassungsschutz/organisation/organisation_node.html
[3] Alternative fûr Deutschland (AfD), https://www.afd.de/
[4] Frédéric Sirgant, L’AfD sous surveillance, et demain interdit ? Vance et Rubio montent au créneau, www.bvoltaire.fr , 4 mai 2025.
[5] Union-chrétienne démocrate d’Allemagne dans tous les Länder (CDU) et Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU), https://www.bundestag.de/fr/parlement/groupes/cducsu-groupe-246010
[6] O. B.-K., Ach Friedrich !, Le Canard enchaîné, 7 mai 2025, p. 8.
[7] Aurore Gaillet, Interdire l’extrême droite allemande n’est pas un rempart suffisant, Le Monde, 20 mai 2025, p. 28.
[8] Benjamin Barthe/Eliott Brachet/Nissim Gasteli, Un président syrien affaibli en visite à l’Élysée, Le Monde, 8-9 mai 2025, p. 6.
[9] Olivier d’Auzon, Ahmad al-Charaa à Paris : Le nouveau maître de Damas va-t-il dicter ses conditions ?, www.lediplomate.media.fr, 7 mai 2025.
[10] Ludovic Lamant, Même sans Georgescu, l’extrême droite roumaine écrase le premier tour de la présidentielle, www.mediapart.fr, 5 mai 2025.
[11] Jean-Baptiste Chastand, En Roumanie, l’extrême droite en position de force, Le Monde, 6 mai 2025, pp1 et 3.
[12] Jean-Baptiste Chastand, Le premier ministre roumain démissionne après la percée de l’extrême droite, Le Monde, 7 mai 2025, p. 5.
[13] Marie Jégo, En Roumanie, les ressorts de la victoire surprise de Nicusor Dan, Le Monde, 22 mai 2025, p. 4.
[14] Ludovic Lamant, En Roumanie, un sursaut de mobilisation fait chuter le candidat d’extrême droite, www.mediapart.fr , 19 mai 2025.
[15] Marie Jégo, La Roumanie fait barrage à l’extrême droite, Le Monde, 20 mai 2025, pp. 1-2.
[16] Jakub Iwaniuck/Isabelle Mandraud, En Pologne, le bon score du PiS met les libéraux au pouvoir sous pression, Le Monde, 20 mai 2025, p. 3.
[17] Sandrine Morel, Au Portugal, le centre droit remporte les élections législatives, Le Monde, 20 mai 2025, p. 6.
[18] Fabien Escalona, Au Portugal, l’extrême droite franchit un nouveau seuil électoral, www.mediapart.fr , 19 ami 2025.
[19] Amélie Poinsot, Présidentielle : la Pologne place les droites dures en position favorable, www.mediapart.fr , 19 mai 2025.
[20] Arnaud Florac, Droite nationale : Manon Aubry en hypoxie face au réel, www.bvoltaire.fr , 19 mai 2025.
[21] Éditorial, D’est en ouest, la montée de l’extrême droite en Europe, Le Monde, 21 mai 2025, p. 31.
[22] Fabien Escalona, Face aux extrêmes droites européennes, le sursaut civique ne remplacera pas une réponse sociale, www.mediapart.fr , 21 mai 2025.
[23] Sandrine Cassini, À gauche, le projet d’une « internationale » pour lutter contre l’extrême droite, Le Monde, 22 mai 2025, p. 8.
[24] Marie Labat, Du Royaume-Uni à la Pologne en passant par l’Allemagne, la grande volte-face européenne sur l’immigration, www.marianne.net, 20 mai 2025.
[25] Philippe Jacqué, Bruxelles ouvre la voie à l’externalisation des demandes d’asile, Le Monde, 22 mai 2025, p. 5.
[26] Collectif de personnalités et d’intellectuelles français et allemands, La libération de Boualem Sansal est une cause européenne, Le Monde, 20 mai 2025, p. 28.
[27] Isabelle Mandraud, Karol Nawrocki, du hooliganisme à la présidence polonaise, Le Monde, 3 juin 2025, p. 3.
[28] Jakub Iwaniuk, Un nationaliste à la tête d’une Pologne fracturée, Le Monde, 3 juin 2025, p. 3.
[29] Éditorial, Pologne : un coup de tonnerre dans le ciel européen, Le Monde, 3 juin 2025, p. 32.
[30] Aude Dassonville, Médias : la vague ultraconservatrice, Le Monde, 3 juin 2025, pp. 16-17.
[31] Bertrand Renouvin, Au mépris de la démocratie. Vingt ans après le référendum de 2005, www.bertrand-renouvin.fr , 19 mai 2025.
[32] Franck Johannès (propos recueillis par), Patrice Spinosi : « Même les démocraties les mieux installées peuvent être dévitalisées par un leader populiste », Le Monde, 20 mai 2025, p. 25.
#démocratie, #extrêmedroite, #AfD, #RN, #GeorgeSimion, #UnionEuropéenne, #censurepolitique, #justicepolitique, #étatdedroit, #libertédexpression, #Roumanie, #France, #Allemagne, #Fillon, #MarineLePen, #Churchill, #WinstonChurchill, #Verlaine, #LFI, #Europepolitique, #élections2025, #censure, #droitedure, #nationalisme, #libéralisme, #droitsciviques, #juges, #pouvoirjudiciaire, #souverainetépopulaire, #Trump, #JDVance, #Rubio, #Macron, #Scholz, #NicusorDan, #partispolitiques, #idéologie, #indignationselective, #géopolitique, #Tocqueville, #liberté
