
Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
« Un diplomate surpris est un diplomate désarmé » (Comte de Saint-Aulaire). Clairvoyance et prescience font partie des qualités que l’on est en droit d’attendre de tout bon diplomate qui se respecte.
Or, elles semblent tombées en désuétude tant les diplomates composent désormais plus avec le temps court, médiatique, celui d’une approche tactique qu’avec le temps long, celui d’une approche stratégique. Le temps semble bien révolu où le mantra du connaître le passé pour comprendre le présent et anticiper le futur leur servait de boussole. Si ce constat porte prioritairement sur le cœur du métier diplomatique, à savoir la connaissance d’un monde aussi complexe qu’imprévisible, il en va également de même pour l’évolution du statut même des fonctionnaires diplomatiques. Nous en avons aujourd’hui un exemple frappant avec les conséquences de la réforme du statut du corps diplomatique imposée, à marche forcée, en 2022, à l’occasion de la transformation de l’ENA (École nationale d’administration) en INSP (Institut national du service public) par le Président de la République, Emmanuel Macron. L’histoire ne manque pas de sel. À trop vouloir chevaucher des chimères et faire fi du réel, des diplomates capons se transforment, à l’insu de leur plein gré, en diplomates marrons.
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Début de l’Histoire : Des diplomates capons
« Oh, le Quai d’Orsay va devoir se mouiller, chose qu’il n’aime pas trop » (Général de Gaulle, 1967).
Il est vrai que l’homme de l’appel du 18 juin 1940 a pu se faire une idée tout à fait précise de l’absence de courage d’une majorité écrasante de diplomates durant la Seconde Guerre mondiale. Il est vrai que les diplomates ne passent pas pour spécialement courageux quand il s’agit d’effectuer des choix difficiles, parfois historiques. Ils auraient tendance à être aux abonnés absents. Leur prudence indispensable étouffe souvent l’esprit d’initiative. Rares sont ceux qui ont choisi, dès 1940, le chemin du refus de la soumission. Est traditionnellement cité le cas de Raymond Brugère, qui annonça par un très officiel télégramme diplomatique, sa démission de son poste de représentant de la France (ministre plénipotentiaire) en Yougoslavie[1]. Il fut le seul du corps diplomatique. À titre de récompense pour son courage (il fut interné de 1942 à 1944 pour « gaullisme »), il fut remercié par sa désignation comme ambassadeur à Bruxelles après la guerre (1944-1947) après un bref passage comme secrétaire général du Quai d’Orsay. Il faut attendre 1943 pour qu’une majorité de diplomates commence à s’interroger sur l’évolution future du régime de Vichy[2]. On connait la suite. La Maison des bords de l’Allier n’a brillé ni par sa clairvoyance, ni par son courage. C’est un fait objectif incontestable !
Cette tendance structurelle au conformisme et au légalisme semble inscrite dans les gênes des diplomates. Leur pusillanimité est légendaire. Elle est aussi très actuelle. Dès sa prise de fonctions à l’Élysée, Emmanuel Macron ne fait pas mystère de son désir de réformer la haute fonction publique (réforme de l’ENA) mais aussi de secouer le corps diplomatique jugé trop timoré (suppression de sa spécificité). Il ne manque jamais une occasion de manifester le profond mépris pour tous ces diplomates à la prudence Norpois (le célèbre Marquis rendu célèbre par Marcel Proust dans La recherche du temps perdu). Ils excelleraient dans l’art du pinaillage, de discuter ses initiatives brillantes reléguées au statut peu enviable de pétards mouillés. Avec Jupiter, les mauvaises idées sont souvent conduites à leur terme. Ce que des diplomates crédules ne veulent pas voir. Comment le chef de l’État pourrait-il mettre à bas le corps diplomatique ? Cela est tout simplement impensable. La réforme de l’ENA par sa transformation en INSP entre en vigueur le 1er janvier 2022. Tous les hauts fonctionnaires mis dans le même sac des « administrateurs de l’État » sont désormais interchangeables. Hormis quelques borborygmes et une petite manifestation sur l’Esplanade des Invalides, les diplomates avalent la pilule amère sans coup férir.
Mais, au fil du temps, nos « diplomuches » découvrent l’ampleur des dégâts. N’est-ce pas trop tard ? Le train est en marche.
Fin de l’Histoire : Des diplomates marrons
« Ah, le statu quo ! C’est tellement la tentation des politiques et des diplomates » (Bernard Kouchner, 2007).
C’est bien de ce dont il s’agit à propos du statut du corps diplomatique français ! Quand le vin est tiré, il faut le boire. Les diplomates découvrent, jour après jour, qu’ils sont les dindons de la farce jupitérienne. Hormis, quelques anciens blanchis sous le harnais qui ont accepté de demeurer dans des corps en voie d’extinction (secrétaires, conseillers des affaires étrangères, ministres plénipotentiaires), les plus jeunes appartiennent désormais au corps interministériel des « administrateurs de l’État ». En échange d’un gain indiciaire substantiel (l’argent n’a pas d’odeur), ils ont volontairement consenti à leur interchangeabilité. Aujourd’hui à évoluer dans le confort douillet des ambassades et des consulats, demain à végéter dans d’autres ministères obscurs ou au sein de l’administration territoriale ! Au passage, nos ex-diplomates découvrent de nouveaux venus, peu au fait des codes de la Maison, pressés leur prendre la place sans parler des amis du Prince se ruant sur les ambassades dont ils estiment qu’elles leur reviennent de droit. Le retour au réel est difficile. Mais il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur. Où sont donc passés les diplomates d’antan et leurs privilèges raillés par les autres fonctionnaires jaloux ?
Faute d’inverser le cours des choses, les diplomates ancienne formule en sont réduits à utiliser le registre bien connu des lamentations ! Ils vont pleurer dans le giron de quelques perroquets à carte de presse compatissants. Un jour, ils se plaignent que leur métier ne fait plus rêver, n’est plus entouré d’un halo de prestige[3]. Un autre, ils se plaignent que des étrangers au Quai des Brumes viennent leur prendre le pain de la bouche, se pavanent tels des paons dans les ambassades[4] et autres consulats généraux de prestige. Horresco referens, ils doivent parfois se retrouver sans affectation tels des demandeurs d’emploi à France Travail. Ils n’en reviennent pas d’être obligés de devoir rédiger de sordides lettres de motivation pour postuler à des postes hors du Département qui ne sont pas de leur niveau. Ils se sentent traités tels de vulgaires laquais, des pouilleux[5]. Tout ceci est insupportable. Nous devons en être pleinement conscients. Une question dérangeante ne mérite-t-elle pas d’être soulevée à ce stade ? Les diplomates n’ont-ils pas ce qu’ils méritent ? Pendant qu’ils louaient les immenses mérites de la « diplomatie féministe », ils ne s’apercevaient pas de la disparition de la diplomatie stricto sensu. Ils ont été incapables de prendre la mesure de L’étrange défaite dont ils étaient les idiots utiles. « Trop tard, les mots qui résument toutes les défaites » (général MacArthur).
Une diplomatie à vau-l’eau
« En diplomatie, on finit toujours par récolter ce que l’on a semé » (Richard Labévière, 2018). Les diplomates ont été dépassés par les évènements qu’ils ont feint d’ignorer. À maints égards, le monde avait changé et les diplomates de « Carrière » sont restés à la traîne, se refusant à plaider leur cause avant qu’il ne soit trop tard. La fameuse politique du chien crevé au fil de l’eau. Faute de courage et de volonté, ils se sont tirés une balle dans le pied. Nous sommes les témoins d’un paradoxe. Les diplomates, même les plus perspicaces, se prennent sans peine pour les auteurs des évènements dont ils ne sont que les spectateurs. Comme le soulignait justement Jacques Bayens « Ruer dans les brancards ne se fait guère parmi ceux qui tiennent à leur tranquillité et à un avenir sans heurts »[6]. Les diplomates ont oublié que les mots ne suffisent jamais. Dire ce qu’il faut dire au bon moment n’est-il pas un élément essentiel de la diplomatie ? La question mérite d’être posée. Au rythme où vont les choses – et comme nous le répétons régulièrement dans nos chroniques -, Emmanuel Macron transmettra à son successeur, en 2027, une Administration fragilisée et un Quai d’Orsay transparent, avachi, voire inutile. Une sorte de château de sable balayé par le vent de l’Histoire. Ainsi peut-on résumer la fable intitulée : heurts et malheurs des diplomates français !
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Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Raymond Brugère, Veni, Vidi, Vichy … et la suite, Deux Rives, 1953.
[2] Jean Mendelson/Isabelle Richefort (Introduction de Georges-Henri Soutou), 1943 : l’année du choix pour les diplomates, Comité des travaux historiques et scientifiques, (C.T.H.S.), 2024.
[3] Valérie Hénau, Diplomate, docteur, avocat … La fin des métiers prestige, www.marianne.net , 30 juin 2025.
[4] C. A., Bayrou offre une ambassade, Le Canard enchaîné, 25 juin 2025, p. 8.
[5] Mathilde Karsenti, Réforme du corps diplomatique, énarques parachutés, diplomates sans poste, « tri sélectif » au Quai d’Orsay, www.marianne.net, 30 juin 2025.
[6] Jacques Bayens, Etranges affaires étrangères, Fayard, 1978.
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