
Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
« Ce que l’homme appelle vérité, c’est toujours sa vérité, c’est-à-dire l’aspect sous lequel les choses lui apparaissent » nous rappelle fort opportunément le penseur grec présocratique, Protagoras, il y a bien longtemps déjà. Ne nous conduit-il pas à nous interroger, encore et toujours, sur les deux faces de la vérité aussi bien sur la scène intérieure[1]que sur la scène internationale ! Ainsi, ne nous conduit-il pas à nous garder des jugements péremptoires et pavloviens sur des évènements aussi importants que graves ! Nous en avons aujourd’hui une parfaite illustration avec la Conférence pour la mise en œuvre de la solution à deux États et le règlement pacifique de la question palestinienne, qui s’est tenue, à New York le 22 septembre 2025, à la veille du début de la Quatre-vingtième session de l’Assemblée générale de l’ONU[2].
Le Président de la République, co-président en majesté avec l’Arabie saoudite, de cette conférence internationale de haut niveau y annonce solennellement la reconnaissance officielle de l’État de Palestine par la France éternelle dont il est le messager. À l’issue d’une longue et difficile conversion de nature quasi-religieuse[3], Emmanuel Macron tient sa promesse à la face d’un monde en pleine transition. Il parvient à se faire, en même temps, l’avocat des victimes et des coupables. Si Emmanuel Macron a de bonnes raisons de se réjouir de la tenue de ce sommet, il en a tout autant de s’interroger sur son déroulement et sur ses suites concrètes.
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Emmanuel Macron a de bonnes raisons de se réjouir
La prestation du Chef de l’État lors de ce Sommet de haut niveau sur la Palestine est un succès personnel et collectif à de multiples égards dont il convient de se féliciter[4].
Elle constitue, d’abord, le point d’orgue brillant de la déclaration de New York sur le règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution à deux États adoptée le 29 juillet 2025 dans une certaine indifférence due vraisemblablement aux effets de la canicule[5]. Nous estimons que ses nombreuses avancées sur des points conflictuels n’ont pas été assez soulignées, en son temps, tant par le château que par les médias français alors qu’il y avait matière à satisfecit. Ces derniers ont une fâcheuse tendance à s’en tenir à l’écume des jours sans analyser les forces profondes à l’œuvre dans ce dossier aussi sensible qu’est celui de la question palestinienne.
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Elle constitue, ensuite, une réussite incontestable pour la diplomatie française, concept appréhendé dans son acception la plus large tant elle a un effet d’entraînement indéniable pour un nombre important d’États – surtout Occidentaux – qui ont décidé de franchir le Rubicon dans la foulée de notre pays au moment où les grands de la planète se retrouvent traditionnellement, en cette troisième semaine de septembre à New York. Cet évènement constitue également un succès pour le multilatéralisme efficace si souvent décrié de nos jours pour ses faiblesses et ses échecs répétés dans le traitement des crises qui secouent le monde comme le fait Donald Trump à l’ONU[6].
Elle constitue, enfin, un réel succès pour Emmanuel Macron qui abandonne sa pratique des propos vipérins pour y substituer un langage de vérité et de sincérité, en particulier à l’égard d’Israël et de la communauté juive de France, passablement déboussolée dans le contexte présent[7]. Peut-être la tribune collective d’une vingtaine de personnalités demandant de conditionner la reconnaissance d’un État palestinien à la libération des otages et au démantèlement du Hamas publiée à la veille de ce Sommet l’a-t-elle conduit à cette évolution notable et appréciable même s’il repousse le temps des conditions préalables à des jours meilleurs ?[8] Le ton est juste, à hauteur d’homme, équilibré, poignant à certains moments avec la reprise de la formule « Le temps est venu »[9]. Un moment de vérité peu habituel avec Emmanuel Macron, souvent plus homme de théâtre qu’homme d’État. Ne boudons pas notre plaisir alors que notre pays traverse une période passablement difficile ! Le service après-vente de cette initiative est assuré, le 23 septembre 2025, tant par le Président de la République (BFM-TV) que par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères (TF1). En effet, Jean-Noël Barrot qualifie cette reconnaissance comme « une grande victoire diplomatique pour la France ! »[10]. On ne saurait mieux dire pour un ministre qui expédie les affaires courantes.
Dans la vie diplomatique, comme dans d’autres, toute médaille a son revers en dépit de l’accueil enthousiaste et unanime des participants à cette conférence qui ne ménagent pas leurs bravos et autres signes de joie.
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Emmanuel Macron a de bonnes raisons de s’interroger
La prestation du Chef de l’État lors de ce Sommet de haut niveau sur la Palestine soulève à l’évidence un certain nombre de questions de toute première importance sur lesquelles le Chef de l’État ne devrait pas faire l’impasse dans les semaines et les mois à venir.
La première, et non la moindre, est celle de la participation occidentale à ce sommet. Au-delà de la scénographie parfaite mêlant protocole cérémonieux et partenaires chaleureux (Cf la déambulation conviviale d’Emmanuel Macron dans les travées de la salle de l’Assemblée générale), quelques absences méritent d’être soulignées. Les plus notables sont celles d’Israël et des États-Unis qui souhaitaient marquer leur désapprobation à l’encontre de cette initiative diplomatique. Peut-on imaginer, un seul instant, de mettre en œuvre la feuille de route adoptée sur les bords de l’Hudson, sans la participation de ces deux États ? La réponse est dans la question. Qui plus est, la salle est remplie principalement par les ambassadeurs auprès de l’ONU. Nous n’y avons pas vu les chefs d’État ou de gouvernement des pays ayant annoncé leur reconnaissance de la Palestine à cette occasion[11]. Vraisemblablement, pour ne pas déplaire à Donald Trump qui raille ce raout organisé « pour la galerie ». A contrario, les « décideurs » de la planète sont tous présents lors de son discours décoiffant du lendemain au début de la 80ème AGNU.
La seconde est celle de la participation (l’absence) des pays arabes à ce sommet à l’exception notable du Président syrien congratulant Jupiter et du Président de l’Autorité palestinienne en visio-conférence. Curieusement, à la tribune, le représentant de l’Arabie saoudite n’est pas le Prince MBS mais un simple « chaouche » dépêché par ce dernier. Pas très élégant pour Emmanuel Macron ! Au banc des délégations des pays arabes, nous n’avons pas reconnu de hautes personnalités. Peut-être que les principales puissances du Moyen-Orient – en particulier du Golfe – savent qu’elles sont tributaires de Américains à qui elles ne veulent pas déplaire ?[12] Ce qui a pour nom Realpolitik et ce dont Jupiter devrait se souvenir. Ces États, comme bien d’autres, ont écouté religieusement le discours du 47ème Président des États-Unis – une sorte d’anti-Macron – très critique à l’égard du multilatéralisme (« des mots creux qui ne résolvent pas les problèmes », panne d’escalator et de prompteur)[13], de l’Europe (paralysée par le politiquement correct), des vagues migratoires, de « l’arnaque » de l’écologie radicale, de la Russie et de ceux qui venaient de reconnaître l’État de Palestine (« C’est encourager le conflit et récompenser le Hamas »)[14]. Il n’est pas sensible à l’argumentaire sur les mérites de son initiative qu’Emmanuel Macron a développé ensuite lors d’un entretien bilatéral. Il fait mine de pas entendre lorsque Jupiter lui recommande de régler le problème de Gaza pour pouvoir prétendre à l’attribution du Prix Nobel de la paix, lui qui se vante d’avoir trouvé des solutions à sept conflits sans en avoir été remercié. Emmanuel Macron, lors de son discours devant l’Assemblée générale (23 septembre) lui a adressé quelques piques stigmatisant « la loi du plus fort » et « l’égoïsme de quelques-uns ». C’est ce que l’on appelle prêcher dans le désert ou se payer de mots !
La troisième est celle des suites concrètes à donner aux fameuses conditions posées par Emmanuel Macron dans son intervention du 22 septembre 2025 et dans ses nombreuses déclarations précédentes (souvent sur les réseaux sociaux) pour parvenir à construire le « chemin vers la paix »[15] : libération des otages ; fin des opérations militaires à Gaza permettant sa stabilisation et sa reconstruction ; mise en place d’une administration de transition ; intégration d’une « Autorité palestinienne renouvelée », de la jeunesse et de forces de sécurité ; don au peuple palestinien d’un « cadre d’expression démocratique » ; démantèlement et mise à l’écart du Hamas par neutralisation de ses chefs et de ses décideurs ; exigences fortes à l’égard d’Israël[16] ; reconnaissance réciproque de l’autre (Israël et Palestine). Et cela n’est pas chose aisée dans le contexte actuel que nous connaissons. Conditions qui n’étaient plus un préalable à la reconnaissance de l’État de Palestine après l’avoir été[17]. Comprenne qui pourra ! Emmanuel Macron rappelle à l’occasion que toutes mesures prises à l’encontre de la France par Israël aurait de notables conséquences.
Ainsi va le monde au temps de Jupiter !
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La fin des chimères ?
« Les idéaux ont leurs forces, leurs drames et leurs failles. L’utopie ne s’inscrit pas impunément dans les choses. Forcément, le terrain résiste »[18]. Au-delà des effets de manche, des trésors de rhétorique, il reste à Emmanuel Macron le plus dur à faire, à savoir mettre en œuvre les conditions qu’il a lui-même posées pour aller de l’avant dans le processus inauguré à New York en juillet et en septembre 2025[19]. En un mot, il lui appartient de transformer l’essai pour utiliser une parabole chère aux amateurs de ballon ovale. Il est des moments dans l’Histoire avec un grand H qui ne supportent ni les subterfuges ni la timidité. En France, souvent les mots servent de cache sexe au réel, au point de le nier pour mieux le transcender. Comme le souligne si justement Simon Leys : « Le diable habite plus souvent le domaine des idées que celui des simples faits ». Emmanuel Macron devra se souvenir qu’on ne comprend jamais mieux un évènement qu’à travers le regard des autres, en particulier celui d’un des principaux concernés (Israël) et d’un autre non moins important (États-Unis). Il lui appartiendra de mettre ses convictions, ses croyances à l’épreuve du réel. Ce qui n’est guère chose évidente dans « l’Orient compliqué » qui fait fi des idées simples faisant florès en Occident, et spécialement, en France. En dernière analyse et sans en préjuger l’issue proche et lointaine, le temps est venu[20] … de redescendre sur terre.
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Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Laure Stephan, En France, la gauche fait flotter une centaine de drapeaux palestiniens sur les mairies, Le Monde, 24 septembre 2025, p. 5.
[2] https://news.un.org/fr/story/2025/09/1157494
[3] Claire Gatinois/Philippe Ricard, État de Palestine. La lente conversion d’Emmanuel Macron, Le Monde, 21-22 septembre 2025, pp. 16-17.
[4] Macron se porte ONU, Le Canard enchaîné, 24 septembre 2025, p. 2.
[5] https://www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/israel-palestinian-territories/news/2025/article/united-nations-high-level-international-conference-new-york-declaration-on-the#:~:text=We%20agreed%20to%20take%20collective,all%20peoples%20of%20the%20region.
[6] Piotr Smolar, À l’ONU, la charge tous azimuts de Trump. Trump affiche son mépris des institutions, Le Monde, 25 septembre 2025, pp. 1-2.
[7] Erik Emptaz, Discours à l’ONU et cote calamiteuse. Macron : « Moi aussi j’en voudrais bien, de la reconnaissance ! » Un mal, des mots, Le Canard enchaîné, 24 septembre 2025, p. 1.
[8] Tribune collective, Monsieur le président, vous ne pouvez pas reconnaître un État palestinien sans conditions préalables, Le Figaro, 20-21 septembre 2025, p. 16.
[9] Discours du Président de la République à la Tribune des Nations unies lors de la conférence pour la solution à deux États, www.elysee.fr , 22 septembre 2025.
[10] Georges Michel, Reconnaissance de l’État de Palestine : Jean-Noël Barrot s’est encore surpassé !, www.bvoltaire.fr , 23 septembre 2025.
[11] J. C., Une reconnaissance pas très reconnue, Le Canard enchaîné, 24 septembre 2025, p. 3.
[12] Gilles Paris, L’inconfort des puissances arabes, Le Monde, 18 septembre 2025, p. 29.
[13] Éditorial, Une diatribe comme réponse à la crise du multilatéralisme, Le Monde, 25 septembre 2025, p. 27.
[14] Arnaud Florac, À l’ONU, Donald Trump sulfate le politiquement correct, www.bvoltaire.fr , 23 septembre 2025.
[15] Philippe Ricard, À l’ONU, Emmanuel Macron tente de tracer « un chemin vers la paix », Le Monde, 24 septembre 2025, pp. 1-2.
[16] Stéphanie Maupas (propos recueillis par), Monique Chemillier-Gendraud : « Il faut d’autres actes, Israël ne pliera que sous la contrainte », Le Monde, 24 septembre 2025, p. 5.
[17] David Safocarda, Conflit israélo-palestinien : Reconnaître sans conditions n’est pas une politique, www.lediplomate.media , 23 septembre 2025.
[18] Emmanuel de Waresquiel, Sept jours. 17-23 juin 2020. La France entre en révolution, Tallandier, 2020, avant-propos, p. 13.
[19] Ilyes Ramdani, À New York, la reconnaissance de la Palestine par la France, au risque de l’impuissance, www.mediapart.fr , 23 septembre 2025.
[20] Emmanuel Macron, Le temps est venu car l’urgence est partout, Le Monde, 24 septembre 2025, p. 3.
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