
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Le soupçon qui pèse sur Kiev
Depuis plusieurs semaines, les accusations se multiplient : une partie des armes livrées par les pays occidentaux à l’Ukraine serait revendue à des tiers, parfois sur des marchés parallèles.
Qu’il s’agisse de rumeurs amplifiées par la propagande adverse ou de fuites provenant de milieux diplomatiques excédés, le résultat est le même : l’image de Volodymyr Zelensky, déjà écornée par les scandales de corruption dans son entourage, sort affaiblie de cet épisode. Les chiffres évoqués par certaines sources – une soixantaine de nouveaux millionnaires en Ukraine rien que pour le mois de février 2025 – alimentent un récit d’élites qui profiteraient de la guerre pour s’enrichir pendant que des milliers de soldats meurent chaque mois sur le front du Donbass.
Le dilemme occidental
Pour les capitales occidentales, la question est brûlante. D’un côté, le soutien militaire massif à Kiev a été justifié comme un impératif moral et stratégique : empêcher la Russie d’imposer par la force un changement de frontières en Europe. De l’autre, voir ces mêmes armes potentiellement réapparaître sur d’autres théâtres de conflit – au Moyen-Orient, en Afrique ou dans les Balkans – menace directement la sécurité de ceux qui les ont livrées. Paris, Berlin, Rome et Washington savent que leurs opinions publiques supportent de moins en moins le coût financier de la guerre, surtout si la perception s’installe que ce soutien alimente une économie de guerre où la transparence est minimale.
Déjà en octobre 2022, Roland Lombardi, géopolitologue et directeur de la rédaction du Diplomate média, évoquait, telle une voix perdue dans le désert, ce sujet toujours tabou en Europe concernant l’explosion du trafic d’armes à cause du conflit ukrainien et ses dangereuses conséquences pour la sécurité des Européens (« Trafic d’armes en Ukraine : Un aveuglement occidental dangereux », Le Journal de l’Économie, 6 octobre 2022 ; « Peut-on encore parler du trafic d’armes en Ukraine ? », Enderi, 12 octobre 2022 ; « L’inquiétante question du trafic d’armes en Ukraine est-elle devenue un tabou ? », Al Ain, 27 octobre 2022).
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Un problème de gouvernance et de contrôle
Au-delà du scandale moral, cette affaire met en lumière un problème structurel. Depuis 2022, les livraisons d’armes ont été accélérées au nom de l’urgence militaire, souvent en contournant les procédures classiques de contrôle des exportations. L’OTAN et l’Union européenne ont créé des mécanismes de coordination, mais le suivi de chaque missile, de chaque véhicule blindé ou de chaque drone est pratiquement impossible sur un théâtre de guerre. C’est un angle mort stratégique : le jour où ces équipements seront utilisés dans un attentat ou un coup d’État sur un autre continent, l’opinion publique occidentale exigera des comptes.
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La dimension géoéconomique
La guerre en Ukraine a créé un véritable marché parallèle. Les milliards d’euros et de dollars injectés pour soutenir l’effort de guerre ont dynamisé des circuits économiques opaques, attirant courtiers, logisticiens et intermédiaires parfois douteux. Pour Kiev, revendre une partie du matériel pourrait aussi répondre à un besoin immédiat de liquidités pour payer salaires, pensions et services essentiels. Cela souligne la fragilité d’un État dont les recettes fiscales se sont effondrées et qui dépend quasi entièrement de l’aide extérieure. Mais sur le plan politique, cela offre à Moscou un argument puissant pour dénoncer « l’hypocrisie » occidentale et présenter Kiev comme un régime corrompu.
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Les conséquences stratégiques
Si ces accusations se confirment, elles pourraient avoir des effets dévastateurs. D’abord sur la cohésion du bloc occidental : les pays contributeurs pourraient réduire leur aide ou l’assortir de conditions beaucoup plus strictes. Ensuite sur le champ de bataille : si les flux d’armes se raréfient, l’armée ukrainienne, déjà sous pression, pourrait se retrouver en difficulté face à l’avancée russe. Enfin sur le plan diplomatique : cette crise de confiance pourrait pousser certains pays du Sud global – déjà sceptiques – à refuser de s’aligner sur les sanctions contre Moscou, affaiblissant encore le front anti-russe.
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Le besoin de transparence
Pour éviter que le récit d’une « guerre pour l’enrichissement de quelques-uns » ne prenne définitivement racine, Kiev devra faire preuve d’une transparence sans précédent. Audits indépendants, coopération avec les parlements occidentaux, enquêtes sur les circuits financiers suspects : tout cela est nécessaire pour restaurer la crédibilité du gouvernement. Faute de quoi, le risque est de voir l’opinion occidentale basculer dans le cynisme et exiger une négociation rapide, quitte à accepter un gel du conflit qui profiterait à Moscou.
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Cette affaire dépasse largement le cas Zelensky. Elle pose la question de la soutenabilité du modèle d’aide actuel, de la moralité des guerres prolongées et du prix que les démocraties sont prêtes à payer pour défendre leurs principes. Si elle est mal gérée, elle pourrait marquer le début d’un désengagement occidental, ouvrant la voie à un compromis défavorable à Kiev. À l’inverse, une réaction ferme et transparente pourrait transformer ce scandale en opportunité pour assainir l’économie de guerre ukrainienne et restaurer la confiance des alliés. Mais le temps presse : chaque mois qui passe coûte des vies et fragilise un peu plus l’édifice politico-militaire sur lequel repose la résistance ukrainienne.
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