ANALYSE – L’Europe dans la crise ukrainienne : Subordination aux États-Unis et déclin dans le nouvel ordre mondial

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Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). 

L’Europe subordonnée aux intérêts américains

L’Union européenne se trouve aujourd’hui dans une position de claire subordination aux États-Unis. Plutôt que de développer une stratégie indépendante, Bruxelles suit aveuglément la ligne tracée par Washington, même lorsque cela va à l’encontre de ses propres intérêts. Le véritable problème de l’Europe réside dans une classe dirigeante incapable de répondre aux défis contemporains, acceptant de jouer un rôle secondaire plutôt que de défendre une politique étrangère autonome. Cette absence de vision stratégique s’est manifestée avec force dans la crise ukrainienne, où les capitales européennes ont adopté sans réserve la position américaine, sacrifiant ainsi toute possibilité de médiation diplomatique qui aurait pu leur permettre de peser dans le conflit.

L’Europe n’a pas su affirmer une ligne décisionnelle indépendante. Alors que Washington fixe les objectifs – du soutien militaire à Kiev à la politique de sanctions contre Moscou – l’UE s’aligne systématiquement, souvent après coup. Toute tentative interne d’affirmer une position alternative est rapidement écartée au nom de l’unité transatlantique. Le résultat est une Europe qui ne dicte plus l’agenda international, mais se contente de suivre celui des États-Unis, réduisant ainsi son rôle à celui d’un acteur passif sur la scène mondiale. Ce schéma s’est répété à plusieurs reprises, que ce soit lors des interventions militaires passées (Irak, Afghanistan) ou dans la crise actuelle, où les gouvernements européens ont rarement osé remettre en question les orientations dictées par Washington. Cette dynamique relègue l’Europe au rang de spectateur, incapable de jouer un rôle d’équilibre entre les grandes puissances.

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Un fait révélateur de cette perte d’influence est l’absence totale d’initiatives diplomatiques européennes pour mettre fin au conflit. “Sans une vision claire, d’autres prennent les décisions à notre place”. L’UE a abandonné toute tentative de médiation, laissant ainsi le champ libre à d’autres acteurs. Faute d’une stratégie commune – due en partie aux divergences d’intérêts entre la France, l’Allemagne, les pays d’Europe de l’Est et du Sud – aucune voix européenne unie ne s’est fait entendre. L’Union semble avoir perdu toute capacité d’action autonome, s’enfermant dans une posture où elle préfère ignorer les réalités géopolitiques qui redéfinissent pourtant les rapports de force mondiaux.

Conséquences stratégiques, économiques et énergétiques de cette dépendance

Le choix de l’Europe de s’aligner totalement sur les États-Unis dans le conflit ukrainien entraîne des conséquences lourdes sur plusieurs fronts. Sur le plan stratégique, l’UE reste dépendante de l’OTAN pour sa sécurité, ce qui limite son autonomie. Économiquement, les sanctions et la guerre prolongée ont fragilisé l’industrie et le commerce européens. Sur le plan énergétique, la rupture avec la Russie a plongé l’Europe dans une crise coûteuse, tout en la rendant plus vulnérable à d’autres dépendances.

Conséquences stratégiques

Dépourvue d’une armée commune et d’une réelle coordination en politique étrangère, l’Europe a délégué sa sécurité à l’OTAN, et donc aux États-Unis. Cette absence d’autonomie stratégique signifie que l’UE n’a aucune capacité d’initiative propre en matière de défense et de diplomatie. Malgré les discours récurrents sur une “Europe de la défense”, la réalité est toute autre : sans l’appui militaire américain, l’Europe peine à exister sur la scène internationale.

Cette subordination pose un problème majeur : les décisions cruciales en matière de sécurité ne sont pas prises à Bruxelles, mais à Washington. L’exemple ukrainien en est la démonstration flagrante : bien que la guerre se déroule aux portes du continent européen, c’est essentiellement l’Amérique qui fixe le cap, tandis que l’UE se contente de suivre.

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Conséquences économiques

Sur le plan économique, l’Europe subit de plein fouet les effets de la guerre et des sanctions imposées à la Russie. L’UE, autrefois première puissance économique mondiale, est aujourd’hui menacée de récession, affaiblie par la crise énergétique et l’inflation galopante. La compétitivité industrielle européenne est mise à mal par la flambée des coûts de production, notamment en Allemagne et en Italie.

Un indicateur préoccupant est le phénomène de désindustrialisation : la nécessité de réduire la consommation d’énergie a conduit de nombreuses entreprises européennes à ralentir ou arrêter leur production, ce qui accélère la fermeture d’usines et la délocalisation vers des régions où les coûts sont plus faibles. Les secteurs les plus touchés incluent la métallurgie, la chimie et l’automobile, essentiels à l’économie européenne. Pendant ce temps, la Russie redirige ses exportations vers l’Asie et le Moyen-Orient, consolidant de nouveaux partenariats pendant que l’Europe perd des parts de marché.

Par ailleurs, cette crise a également sapé la confiance dans le système financier occidental. L’essor des BRICS et la tendance à la dé-dollarisation montrent que de nombreux pays cherchent à s’émanciper de la domination financière occidentale. Plusieurs États réduisent leur exposition à l’euro et au dollar, préférant mener leurs transactions en monnaies locales. L’influence économique européenne s’en trouve affaiblie.

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Conséquences énergétiques

Sur le plan énergétique, les choix de l’UE se sont révélés particulièrement coûteux. L’Europe dépendait du gaz russe pour assurer sa compétitivité industrielle et la stabilité de ses prix de l’énergie. Après la guerre, Bruxelles – sous forte pression de Washington – a rompu cette dépendance, espérant affaiblir Moscou économiquement. Toutefois, cette décision a eu l’effet inverse : plutôt que d’atteindre l’indépendance énergétique, l’Europe s’est simplement liée à d’autres fournisseurs, notamment les États-Unis, qui vendent du gaz liquéfié (GNL) à des prix exorbitants.

Deux ans après le début du conflit, il est évident que le principal gagnant est l’industrie énergétique américaine, qui est devenue le premier fournisseur de GNL de l’Europe, engrangeant des profits record. Le fardeau financier, lui, est porté par les consommateurs européens. Contrairement au gaz russe, transporté par gazoduc à un prix stable, le GNL américain est significativement plus cher, augmentant jusqu’à 50 % les coûts énergétiques des entreprises européennes et des ménages.

Une Europe marginalisée : Exclue des grandes négociations

Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, un constat s’impose : l’Europe est absente des négociations majeures sur l’avenir du conflit. Les discussions essentielles se déroulent sur l’axe Washington-Moscou ou Washington-Pékin, sans la moindre consultation européenne.

Cette marginalisation ne se limite pas à l’Ukraine. En Moyen-Orient, les États-Unis ont négocié des accords sur Israël et les pays du Golfe sans véritable implication de l’UE. De même, les grandes discussions mondiales – sur la Chine, l’Iran ou la Corée du Nord – se tiennent sans Bruxelles. Cette absence est le résultat direct du manque d’unité et de cohérence stratégique de l’Europe, qui ne parle pas d’une seule voix et se contente de suivre des décisions prises ailleurs.

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L’avenir de l’Europe dans un monde multipolaire

Le monde évolue vers un ordre multipolaire, où de nouvelles puissances – Chine, Inde, Brésil – gagnent en influence tandis que l’hégémonie occidentale s’effrite. L’Europe doit maintenant faire face à une réalité inconfortable : elle n’est plus un acteur central dans les grandes décisions mondiales.

Si l’UE ne parvient pas à redéfinir son rôle, elle risque de rester une simple extension des politiques américaines, incapable d’imposer sa propre vision. Pour éviter cette relégation, l’Europe doit se réveiller et investir dans une politique étrangère et de défense véritablement autonome. Il est encore temps de rétablir un équilibre dans ses relations avec les États-Unis, en devenant un allié à part entière plutôt qu’un simple suiveur.

Si cette transformation ne se produit pas, l’Europe restera en marge du nouvel ordre mondial, assumant les coûts des stratégies décidées par d’autres. L’histoire ne laisse pas de place aux retardataires : soit l’Europe prend son destin en main, soit elle se condamne à devenir une périphérie sans influence dans le monde de demain.

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