HISTOIRE – La politique étrangère du royaume de France, de sa naissance (987) à la Révolution française (1789) – PARTIE 2

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royaume de France
Louis XIV

Par Michel Leblay

Vieille d’un millénaire, héritière des civilisations méditerranéennes, grecque et romaine, chrétienne par cette dernière, nourrie aussi par les invasions de peuples venus de l’est et du nord de l’Europe, qui s’assimilèrent pleinement, la France a vécu huit siècles sous un régime monarchique qui l’a façonnée et l’a amenée à ses sommets. Elle est née d’un partage de l’empire carolingien à partir duquel se constituèrent deux espaces culturels et politiques dont la rivalité domina une grande part de l’histoire de l’Europe et qui aboutit aux cataclysmes du XXème siècle. Au XXIème siècle, force est de constater, malgré les entreprises de rapprochement et de réconciliation, qu’une opposition demeure, attestant que les nations et les cultures ne sauraient se fondre.

Les bouleversements intervenus dans l’ordre politique et social durant ces huit siècles d’histoire obligent à distinguer deux grandes périodes :

  • Le Moyen Age tout au long duquel l’Etat va développer progressivement une emprise en s’imposant face à la structure féodale laissant ainsi émerger l’idée de peuple et de nation (PARTIE 1) ;
  • Les Temps modernes où les concepts de relations internationales et de politique de puissance prennent toute leur réalité (PARTIE 2)

Suite de la PARTIE 1

II Les Temps modernes : de la Renaissance à la Révolution française

Symboliquement, la fin de la Guerre de Cent ans en 1453 marqua la disparition de la société féodale. Au fil du temps et des évènements, cette forme d’organisation politique et sociale avait profondément évolué débouchant sur le pouvoir absolu du souverain et de l’Etat qu’il incarne. S’ouvraient ce que les historiens dénommèrent les Temps Modernes, période courant de la Renaissance à la Révolution française. Entre ces deux basculements historiques, par mutation culturelle s’agissant de la Renaissance et par rupture politique pour le second, le fait national se façonna dans une Europe encore arrimée aux alliances dynastiques. Celles-ci, lors des guerres récurrentes qui ont opposé les Etats du continent, érigeaient des limites à toute déviation vers l’anéantissement total de l’adversaire. Elles facilitaient ainsi les paix de compromis. L’éventail de ces Etats allaient d’ailleurs s’élargir avec l’apparition de deux nouveaux protagonistes qui allaient occuper une place essentielle sur la scène européenne : la Prusse et la Russie. Mais ce temps de l’histoire fut affecté aussi par un bouleversement essentiel : la Réforme protestante. Elle engendra une déchirure religieuse à l’origine d’affrontements dévastateurs. Elle mit fin à l’unité spirituelle de l’Europe et transforma les rapports politiques entre les Etats et à l’intérieur de ceux-ci.

Aire conflictuelle, certes, l’Europe, dans laquelle la France occupa au XVIIème siècle la place prépondérante, n’en fut pas moins douée d’une prodigieuse richesse philosophique, littéraire, scientifique, artistique, la plaçant à la pointe du progrès. Et, c’est au début de ces Temps modernes que les pays européens, ceux tout au moins dont les côtes ouvraient sur l’Atlantique, engagèrent, en concurrence les uns par rapport aux autres, leur entreprise d’expansion planétaire. Ainsi, au XVIème siècle avec l’ouverture des routes maritimes, naquit la géopolitique mondiale.   

Durant ces trois siècles d’histoire où se structurent les Etats-nations, la France monarchique fut l’élément central du jeu européen. Elle y atteignit ses sommets. Si l’on excepte les expéditions italiennes du XVIème siècle, elle chercha d’abord à garantir ses frontières en s’approchant des barrières naturelles lorsqu’elles n’étaient pas atteintes et à conquérir des places fortes, notamment au nord où la géographie n’offre pas d’obstacles à l’invasion.

Puissance continentale et puissance maritime, la France se heurta principalement, au long de la période, à deux autres puissances : les Habsbourg et l’Angleterre, l’ennemi qu’elle avait fini par vaincre au Moyen Age. Les Habsbourg furent l’adversaire constant jusqu’à ce que la Maison d’Autriche rencontra dans l’espace germanique un rival qui la défia : la Prusse.  Avec l’Angleterre qui traversa au XVIIème siècle une période de graves troubles intérieurs les relations furent faites de rapprochements et de conflits. Son ascension au XVIIIème siècle comme thalassocratie, attentive à un équilibre des puissances sur le continent qui conjure toute domination exclusive de l’une d’entre elles, introduisit une nouvelle approche des relations internationales. Ce fait eut une traduction théorique au travers des différentes conceptions de la géopolitique développées à partir de la fin du XIXème siècle.

1- La France, la puissance habsbourgeoise et l’Angleterre : du XVIème au XVIIIème siècle

La France comme l’ensemble Habsbourgeois et l’Angleterre eurent au long des trois siècles leur propre cheminement dont le rappel des quelques grands traits éclaire leur action extérieure.

La France

A la mort du dernier Valois-Orléans, Louis XII en 1515, la couronne revint à la dynastie des Valois-Angoulême qui compta cinq rois : François 1er, Henri II, François II (règne éphémère de dix-sept mois), Charles IX et Henri III. A sa suite, après une grave crise intérieure, Henri IV devint le premier souverain Bourbon. 

Certes l’application de la loi salique imposait la succession masculine, mais dans la deuxième moitié du XVIème siècle, une femme, Catherine de Médicis, exerça un temps la réalité du pouvoir avant de l’influencer fortement dans une France déchirée par le conflit qui opposa les catholiques aux protestants. En effet, à partir des années 1530-1540, les idées de la Réforme se propagèrent dans le royaume et allaient conduire à la guerre civile. Le pays ne retrouvera un équilibre interne qu’avec Henri IV. S’ouvrit alors ce moment magnifique de notre histoire, marqué par le Grand Roi, Louis XIV, auxquels Richelieu puis Mazarin avaient, par la plus avisée des politiques, tracé la voie de la grandeur. Si le royaume s’agrandit, si les arts furent des plus brillants, si l’industrie fut développée au travers des manufactures, les guerres, la pression fiscale, les privations frappèrent durement la population française. A tel point que la dépouille de Louis XIV sera transportée de nuit à Saint-Denis comme celle de son arrière-petit-fils Louis XV qui lui succéda. Ce dernier gouverna au cœur du XVIIIème siècle. La France n’y fut pas aussi dominante qu’au siècle précédent mais elle demeura la première puissance européenne. Puis la monarchie absolue qui n’était pas un pouvoir total car bordé par la religion, les traditions et les coutumes et les différentes assemblées, fut renversée par un mouvement qui toucha le pays dans ses assises les plus profondes et l’atteignit, probablement à jamais, dans sa puissance.

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L’adversaire Habsbourgeois

Avec la réunion, par le jeu des héritages, sous une même couronne, celle de Charles Quint, des territoires germaniques, bourguignons et espagnols, au milieu du XVIème siècle, les possessions des Habsbourg ceinturaient la France sur ses frontières terrestres. Alors, durant cette séquence de l’histoire courant du XVIème siècle au XVIIIème siècle, la relation avec la puissance Habsbourgeoise conditionna l’action extérieure du royaume de France. Mais, du fait d’un ensemble d’évènements, cette puissance s’étiola avec le temps.

A l’abdication de Charles Quint, les possessions Habsbourgeoises ingouvernables par une seule main sont partagées entre deux lignées, celle de son fils Philippe qui hérita du trône d’Espagne et celle de son frère Ferdinand qui régnera sur le Saint Empire romain germanique. Au tournant du XVIIIème siècle la branche espagnole s’éteindra au bénéfice des Bourbons. A l’intérieur du Saint Empire, la couronne impériale, déjà limitée dans son autorité par son caractère électif[1], allait être frappée, dans la première moitié du XVIème siècle, par la Réforme protestante. Elle conduisit à l’opposition entre les princes convertis à la nouvelle religion et ceux restés fidèles à Rome. L’affrontement atteignit son paroxysme au siècle suivant avec la guerre de Trente ans.

Une autre menace pesa sur les Habsbourg d’Autriche, celle des Ottomans. Elle affecta leur capacité de manœuvre dans la partie occidentale de l’Europe. Le Turc ne fut définitivement repoussé qu’après l’échec du siège de Vienne en 1683.

L’Angleterre

Caractériser l’évolution de l’Angleterre du XVIème siècle au XVIIIème siècle, c’est faire référence à sa composition géographique, à la rupture avec le catholicisme, aux révolutions politiques du XVIème siècle et à son expansion maritime et coloniale.

L’île dont l’Angleterre en tant que telle ne représente que les deux tiers de la superficie est devenue un même ensemble politique par l’intégration des terres galloises au royaume d’Angleterre en 1536 puis par la fusion avec le royaume d’Ecosse en 1707 constituant ainsi la Grande Bretagne sous l’égide du roi d’Angleterre (une Union des couronnes d’Angleterre et d’Ecosse avait déjà été proclamée en 1603). Dans le bouleversement représenté par la Réforme, l’Angleterre occupa une place à part puisque la rupture avec Rome (1534) intervint non pour des raisons doctrinales mais concernant une question propre au souverain, sa situation matrimoniale. L’Angleterre fut aussi le premier pays d’Europe ébranlé dans son ordre institutionnel avec l’instauration en 1649 par Cromwell d’une république (Commonwealth de l’Angleterre) qui ne lui survivra que quelques mois[2]. Une deuxième révolution en 1688 (la Glorieuse révolution) porta au pouvoir le prince protestant néerlandais Guillaume III d’Orange après que fut déposé par le Parlement le catholique Jacques II. Ces convulsions ne furent pas sans effet sur l’action extérieure du pays durant le XVIème siècle. Mais l’Angleterre, par sa volonté de maîtriser les voies maritimes et la constitution d’un vaste empire colonial, jeta les bases de la thalassocratie anglo-saxonne. 

2- La politique extérieure menée par la France

Comme tout autre phénomène historique, une politique étrangère peut être analysée sous divers angles : par grands axes, par exemple, si la période s’y prête mais, plus simplement de manière chronologique. Là, le découpage retenu est bien sûr subjectif suivant l’accent mis sur telle ou telle singularité.

Pour ces trois siècles dits des Temps Modernes, trois périodes peuvent être mises en exergue dans la relation entretenue par la France avec ses compétiteurs européens. Tout commença avec l’époque de la Renaissance et des guerres de Religion. Puis vint le grand Siècle qui est certes fait de guerres récurrentes et épuisantes mais lors duquel elle atteignit un rayonnement et une influence qui la place parmi les plus grandes nations de l’Histoire quels que soient les renoncements présents. Durant les trois quarts de siècle qui suivirent la mort du Roi Soleil, l’équilibre européen subit des transformations majeures dont la France fut une actrice essentielle. 

Le temps de la Renaissance et des guerres de Religion

Le terme de Renaissance pour désigner cette époque qui court de la fin du XVème siècle au XVIème siècle aurait été utilisé pour la première fois par Jean-Jacques Ampère dans son histoire littéraire de la France avant le XIIème siècle, publiée en 1839. Historiquement, cette Renaissance ne peut pas être regardée sous l’angle d’un renouveau ou d’un réveil par rapport à la période du Moyen-Age qui aurait été un long moment d’endormissement. Au contraire, c’est au cours de ce Moyen-Age que se sont forgés, entre autres, l’Etat et la conscience nationale. Fruit d’une évolution, dans laquelle les cités italiennes occupèrent une place majeure, la Renaissance qualifie un mouvement aux différents aspects, culturels, artistiques, économiques qui ouvrit, incontestablement, une nouvelle ère pour les sociétés d’Europe occidentale. La Renaissance, c’est aussi une conception moderne de l’Etat exprimée par deux penseurs illustres : Machiavel et Le Prince ;Jean Bodin et les Six Livres de la République.

Pour la France, avant tout aperçu de ses relations extérieures, un acte essentiel nécessite d’être mis en exergue : l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Une politique étrangère est ou doit être l’expression d’une identité propre à un Etat et au peuple qu’il représente. Or quoi de plus fondamental dans une identité collective que la langue, manifestation d’une culture et d’une histoire. C’est au XVIème siècle, en août 1539, que François 1er édicta cette ordonnance de Villers-Cotterêts par laquelle, entre autres, l’usage exclusif de la langue française fut rendu obligatoire pour la rédaction de tous les documents publics du royaume. Le français était ainsi substitué au latin comme langue officielle pour les actes d’ordre juridique et administratif. La France se détachait ainsi d’un universalisme linguistique hérité de l’Empire romain.

C’est avec les guerres d’Italie, engagées par Charles VIII, que la France bascula dans le jeu des relations européennes qui allaient prévaloir au XVIème siècle. L’intrusion de la Maison de France dans les affaires de la péninsule italienne remontait au XIIIème siècle, au temps de Louis IX. Son frère Charles d’Anjou conquit le royaume de Sicile en 1266 au détriment des Hohenstaufen. Il fut chassé de l’île lors du massacre des Vêpres siciliennes en 1282 mais resta roi de Naples. La couronne fut conservée par la Maison d’Anjou jusqu’en 1442 date à laquelle Alphonse V d’Aragon s’en empara. Les droits de la Maison d’Anjou étant passés au royaume de France en 1480, Charles VIII saisit ce prétexte pour une reconquête. Il s’était assuré auparavant par trois traités[3] de la neutralité du roi d’Aragon, du roi d’Angleterre et de l’Empereur germanique. Cependant, l’Italie allait devenir le théâtre de l’affrontement entre la France et la dynastie Habsbourgeoise que Charles Quint porta au sommet de sa puissance ; la France se trouvant ceinturée par les possessions de la Maison d’Autriche. François 1er qui avait triomphé des Suisses à Marignan (1515)[4] pour la conquête du duché de Milan fut le grand rival de l’Empereur allemand. Postulant malheureux à la dignité impériale à laquelle fut élu Charles, en 1519, après être devenu roi d’Espagne en 1516, le premier des Valois-Angoulême l’affronta à Pavie en 1525[5] et y fut défait. Prisonnier, il ne sera libéré par Charles Quint qu’après la signature du traité de Madrid, le 14 janvier 1526. Ce traité comportait une importante concession territoriale : la restitution du duché de Bourgogne. Mais le roi de France refusa d’appliquer le traité qu’il avait signé, alléguant de la contrainte subie par sa détention. Le conflit reprit et après un nouvel échec italien des armées françaises, le traité de Cambrai ou « paix des Dames » fut signé le 3 août 1529. Aux termes de celui-ci, la France conservait la Bourgogne contre une forte rançon et mettait fin à ses ambitions italiennes[6]. Les hostilités ne s’arrêtèrent pas là. François 1er revendiqua à nouveau le duché de Milan à la suite de la mort du duc en 1535. Les opérations militaires reprirent, ponctuées par la Paix de Nice en 1537, avant celle définitive du traité de Crépy-en-Laonnois en 1544.

Face à la puissance Habsbourgeoise, François 1er mena une action diplomatique dans trois directions : l’Angleterre d’Henri VIII, les princes allemands convertis à la réforme protestante et le sultan ottoman.

Avec Henri VIII, préoccupé par l’ascendant pris par Charles Quint sur le continent, il n’y eut pas d’alliance durable mais des rapprochements de circonstance. La fameuse entrevue du Camp du drap d’or (juin 1520) fut sans lendemain d’autant plus que, sitôt quitté le roi de France, le souverain anglais alla rencontrer l’Empereur germanique (rencontre de Gravelines). En 1528, le Français et l’Anglais déclarèrent tous deux la guerre à l’Empereur, celle qui aboutit à la « paix des Dames » (1529). Henri VIII chercha l’appui de François 1er dans le conflit qui l’opposait à la papauté dans sa volonté de se séparer de Catherine d’Aragon pour épouser Anne Boleyn. Mais François, n’y trouvant aucun intérêt, se refusa à indisposer le pontife, Clément VII. Au contraire, le fils du roi, le futur Henri II, épousa Catherine de Médicis, la nièce du Pape. Finalement, en 1543, Henri VIII, allié à l’Empereur, déclara la guerre à la France. Après l’occupation de Boulogne par les Anglais, de laborieuses négociations conduisirent au Traité d’Ardres (1546) aux termes duquel Boulogne retournait à la France contre une forte indemnité, Calais restant occupé par les Anglais. Le traité ne fut pas appliqué. La France ne recouvrit Boulogne qu’en 1550 par le traité d’Outreau, sous le règne d’Henri II.

Tenter de tirer bénéfice des difficultés internes rencontrées par un adversaire relève d’une pratique courante lorsque l’occasion se présente. Pour François 1er, l’opportunité fut la Réforme protestante de Martin Luther qui toucha l’Empire au cœur. Le roi conclut en 1531 une alliance avec la ligue de Smalkalde qui unissait les princes protestants du Nord de l’Allemagne. Néanmoins, empreint de prudence, le souverain français se contenta d’une promesse d’aide financière[7].

Pour affaiblir le Habsbourgeois, le « Prince de la Renaissance » usa aussi de l’alliance de revers, avec l’Infidèle ! Aucun traité ne fut conclu avec Soliman le Magnifique dont les troupes étaient conquérantes au sud-est de l’Europe (défaite des Hongrois à Mohacs, le 29 août 1526 ; premier siège de Vienne en 1529). En revanche, les deux puissances, la française et l’ottomane, coopérèrent en Méditerranée pour s’opposer à la flotte espagnole. De cette époque (1536) datent les capitulations qui accordaient des privilèges au commerce maritime français et reconnaissaient à la France un droit de protection à l’égard des populations catholiques de l’Empire ottoman.

Avec Henri II qui succéda à son père en 1547, une époque s’acheva. Elle trouva son épilogue dans les traités de Cateau-Cambrésis conclus respectivement les 2 et 3 avril 1559 avec l’Angleterre d’Elisabeth 1er et l’Espagne de Philippe II (en renonçant à ses couronnes, Charles-Quint avait scindé ses possessions en deux branches : l’Empire alla à son frère Ferdinand 1er ; Philippe II, le fils, hérita de toutes les possessions espagnoles). Par ces traités, la France renonça aux aventures italiennes mais elle récupéra Calais, occupé par les Anglais depuis 1347. 

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Après la mort accidentelle d’Henri II, survenue le 10 juillet 1559, la France allait basculer dans l’un des moments tragiques de son histoire : les guerres de Religion. Elles débutèrent avec le massacre de Wassy, le 1er mars 1562[8] et ne s’achevèrent qu’en 1598 avec la paix de Vervins conclue avec l’Espagne et l’Edit de Nantes.

Durant les règnes des trois derniers Valois (François II, Charles IX, Henri III), fils d’Henri II, une femme domina la scène politique : leur mère, Catherine de Médicis. Certes, avec Henri III, le pouvoir réel précédemment exercé se mua en une influence, mais souvent déterminante. Dans la tourmente, cette personnalité exceptionnelle a su préserver l’intégrité du royaume et lui épargner une fracture définitive. Ses décisions et ses actes ne peuvent être appréciés qu’à l’aune d’un contexte où la survie du pouvoir royal et donc du pays était en cause.

Justement, dans un pays livré à la guerre civile où les factions qui s’opposent cherchent l’appui de puissances étrangères pour lesquels il devient un enjeu au regard de leurs intérêts, est-il possible d’évoquer une politique étrangère ? Certes, malgré tout, contrecarrer la puissance habsbourgeoise demeura une constante. La France fut ainsi l’alliée[9] des ottomans lors de la bataille de Lepante (7 octobre 1571) qui opposa la flotte de l’empire musulman à celle de la Sainte Ligue commandée par don Juan d’Autriche. Mais, dans le champ d’affrontements que représentait le royaume de France, l’Espagne de Philippe II, intransigeante dans sa fidélité à Rome, soutint les catholiques tandis que l’Angleterre d’Elisabeth 1ère apporta son appui à la fraction protestante.

La barre du pouvoir ayant été tenue, la France ne sombra pas. Faute d’héritier, une branche capétienne s’effaça, laissant apparaître un nouveau souverain, habile et décidé, à la carrure de l’homme d’Etat. Par le rétablissement de la concorde civile (Edit de Nantes) et de la paix extérieure après une nouvelle guerre contre l’Espagne (paix de Vervins), Henri IV, roi de France de 1594 à 1610 restaura dans toute sa dimension la puissance française vis-à-vis de ses rivaux européens. Il ouvrait ainsi la voie au Grand siècle, celui d’une France parvenant à son apogée.

Cependant, à la veille de son assassinat, le premier des Bourbons préparait une intervention en terre allemande. Ce nouveau conflit avait pour origine la question complexe soulevée par la succession ouverte par la mort du duc de Juliers, Berg et Clèves. L’assassinat du roi interrompit le projet initial de campagne qui fut réduit à une rapide chevauchée. Il faut retenir de l’affaire, quant à ces conséquences pour la suite de l’histoire, la mainmise du Brandebourg, la future Prusse, sur le duché de Clèves. Les Hohenzollern prenaient pied ainsi sur le Rhin inférieur à partir duquel la province de Rhénanie devait être constituée au XIXème siècle.

Le Grand siècle

Personnifié et dominé par le Roi soleil, ce Grand siècle, fut certainement le temps le plus prestigieux de l’histoire de France. Si le règne de Louis XIV en marque l’apothéose, avant lui, trois personnages d’exception, par l’orientation de leur politique, avaient amené la France à la plus haute marche : Henri IV, Richelieu, Mazarin. Mais ce XVIIème siècle fut peut-être aussi le plus grand pour l’héritière des Gaules, parce qu’il permit l’épanouissement des talents les plus élevés dans les différents domaines de l’activité humaine : la littérature, l’art, l’architecture, la guerre aussi… Pourtant, au-delà de ce qui apparaît comme le grand âge classique, Paul Hazard, dans une réflexion magistrale sur La Crise de la conscience européenne, y voit les manifestations d’un retournement intellectuel qui préfigure la pensée du XVIIIème siècle et qui aboutira à la Révolution française. Cette lecture de ce mouvement des idées a suscité quelques réserves comme le souligne Jean Christian Petit-Fils qui a fait référence à une analyse de Jean Mesnard (La crise de la conscience européenne : un demi-siècle après Paul Hazard)[10].

C’est durant ce Grand siècle que le conflit entre le royaume de France et les Habsbourg culmina. La rivalité avec la branche espagnole, la plus puissante, en fut l’axe principal.

Aussi belliqueuse que soit l’époque, il n’en demeura pas moins qu’il y eut toujours, au fil des guerres et de leurs ravages, la recherche d’une solution politique destinée à rétablir un équilibre entre les puissances européennes.

L’observation de l’action extérieure du royaume durant ce XVIIème siècle, qui s’acheva du point de vue du récit politique en 1715 avec la mort de Louis XIV, laisse apparaître deux temps. Dans le premier, qui court jusqu’en 1672 et qui porta la marque de Richelieu que prolongea Mazarin, la politique menée par la France constitua un parfait exemple de réalisme. Comme il ressort de l’analyse de Lucien Bély dans l’Histoire de la diplomatie française[11], face à la puissance Habsbourgeoise, la politique conduite par la France visait à assurer un équilibre pérenne sur le continent européen. Pour cela, dépassant les fractures religieuses, la France soutiendra ou s’alliera à des princes protestants. Puis, le Roi soleil, souverain de la nation la plus peuplée et la plus riche d’Europe, à la tête de l’armée la plus puissante bascula dans une politique d’extension territoriale, laissant paraître une image hégémonique.

Richelieu et Mazarin : Le génie diplomatique

Dans notre histoire, millénaire, Richelieu demeure comme le modèle de l’homme d’Etat qui sut conduire l’action publique, au-delà de ses convictions religieuses, avec un art consommé au seul service de l’intérêt supérieur du pays.

Destiné à une carrière dans les ordres, le futur cardinal reçut à l’âge de 26 ans l’investiture du Pape pour l’évêché de Luçon. Son entrée dans le champ politique date des Etats généraux de 1614, dernière réunion de cette assemblée avant celle de 1789. Richelieu, remarqué à cette occasion, fut introduit dans le cercle des conseillers de la Régente, Marie de Médicis. La violente opposition entre la Reine mère et le jeune Roi le placera à plusieurs reprises dans des situations délicates causant même son éloignement. Mais, le fin négociateur, après avoir été écarté du Conseil du Roi auquel il avait accédé une première fois en 1616 comme successeur de Villeroy, ministre des Affaires étrangères, y revint définitivement en 1624 avec l’appui de la Reine mère. En 1629, Louis XIII en fit son « principal ministre d’Etat » [12]. Si le Cardinal guida la politique étrangère du pays, il le fit toujours sous l’égide du souverain qui partageait ses vues et ses objectifs. 

L’Europe, au milieu de laquelle Richelieu eut pour but de garantir la sécurité de la France et d’affermir son influence, était encore en proie à l’opposition belliqueuse entre catholiques et partisans de la Réforme. La puissance Habsbourgeoise y représentait toujours, pour le pays, la première des menaces extérieures. Des deux pôles composant cette puissance, le plus fort et donc le plus redoutable était l’espagnol. Mais, le heurt majeur, la guerre de Trente ans, allait se dérouler dans l’espace germanique, épicentre de la fracture religieuse. A l’issue du conflit, Vienne perdit tout espoir d’imposer une autorité centralisée sur le Saint-Empire. 

Face à cet environnement, la France occupait une position géographique centrale. Si elle se trouvait, de son point de vue, prise en étau par les mâchoires habsbourgeoises en revanche, sous l’angle de la Maison d’Autriche et de ses deux branches, elle privait celles-ci d’une continuité territoriale entre ses diverses possessions.

Par un regard circulaire porté sur les frontières françaises, il apparaissait, à l’ouest, sur la façade maritime, une Angleterre, politiquement instable à l’intérieur mais préoccupée par une expansion commerciale de la France sur les grandes routes maritimes. Au sud, l’Italie, émiettée et assujettie pour une large part à l’Espagne, représentait l’axe terrestre par lequel l’armée espagnole pouvait gagner les possessions septentrionales de Philippe IV (la Franche-Comté, l’Alsace et surtout les Pays-Bas où les sept Provinces-Unies ont fait sécession en 1581) et appuyer les Habsbourg de Vienne. A l’est, justement, la France devait éviter que ces Habsbourg qui trônaient sur le Saint-Empire ne centralisent le pouvoir entre leurs mains. Au nord, l’Espagne ne s’était pas encore résignée à l’émancipation des sept Provinces-Unies dont le développement du commerce maritime les plaçait en compétiteur. Ces Provinces protestantes étaient donc une alliée pour la France catholique.

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Comme adversaire, l’Angleterre fut neutralisée lors du siège de La Rochelle. L’invasion de l’île de Ré par Buckingham en 1627 et les tentatives de la flotte anglaise pour secourir les huguenots furent repoussées. Par la suite, la grande île dont le roi Charles 1er avait épousé la sœur de Louis XIII, Marie-France, se rapprocha de la France par crainte de la domination habsbourgeoise sur l’Europe. C’est dans le nord de l’Italie, où la dynastie espagnole détenait le duché de Milan depuis le traité du Cateau-Cambrésis en 1559, que Richelieu engagea la confrontation avec les Habsbourg. L’occasion naquit de la succession ouverte en 1627 pour la possession du duché de Mantoue où régnait la Maison de Gonzague après la mort en 1627 de son dernier héritier en ligne directe. Le prétendant était alors le duc de Nevers, sujet du roi de France. Par sa position géographique comme nœud de communication entre le Milanais et la Vénétie, d’une part et comme voie d’accès au col du Brenner, débouché vers l’Autriche, d’autre part, le duché représentait un enjeu essentiel. Sa maîtrise offrait une liberté de mouvement à l’armée espagnole ; elle constituait une entrave à la circulation de cette dernière pour la France. Opposant les Français aux Espagnols et aux Impériaux le conflit, après des péripéties dont la signature du Traité de Ratisbonne (13 octobre 1630) et son rejet par la France, aboutira à un repli des différentes troupes. Néanmoins, Louis XIII y gagnera Pignerol. Mais, peut-être pour l’histoire, le fait diplomatique le plus marquant fut l’apparition de Mazarin, en l’occurrence comme envoyé du Pape, qui révéla des qualités de négociateur incomparables.

La menée française dans l’Italie du Nord manifestait sans détour le dessein du Cardinal d’affaiblir la puissance habsbourgeoise là où elle pouvait être, pour le royaume, la plus disputée. Or la conflagration qui frappa au cœur cette puissance et qui devint pour l’histoire la guerre de Trente ans fut pour Richelieu l’occasion de l’action capitale de son ministère dans le domaine de la politique extérieure. Cette guerre, par sa violence et ses conséquences, déchira à jamais le Saint-Empire. Depuis le début de la rivalité entre la Maison d’Autriche et le royaume capétien, dans la première moitié du XVIème siècle et jusqu’à la guerre de Trente ans, la France occupait plutôt une position défensive. La guerre, par ses effets, en bouleversant l’équilibre des forces, signifia un déclin relatif de l’emprise exercée sur l’Europe par la dynastie originaire d’Alsace qui régnait à Vienne. Le temps de la domination française sur le continent débutait. L’ébranlement de cette domination au siècle suivant, par l’apparition de la puissance prussienne, poussa Bourbon et Habsbourg à s’allier.

A la veille d’un engagement essentiel pour la France, Richelieu, à l’issue de « la journée des Dupes », le 11 novembre 1630, avait assis définitivement son pouvoir sur la conduite de la politique du royaume. Ce qui allait conduire aux traités de Westphalie fut d’abord son œuvre. La France n’entra en guerre qu’en 1635. Auparavant et mise à part l’occupation en Lorraine de forteresses et de Nancy, elle circonscrivit son action à un soutien aux adversaires de l’Empereur, la Suède et les Provinces-Unies, tout en étant soucieuse de la sauvegarde des principautés catholiques d’Allemagne. Après la victoire remportée à Nördlingen, le 6 février 1634, par les armées espagnoles et impériales réunies sur les Suédois, la France décida d’intervenir directement. Le 19 mai 1635, elle déclara la guerre à l’Espagne. Treize années de campagnes militaires s’en suivirent. Les armées françaises affrontèrent les Espagnols au nord jusqu’en Picardie, à l’est où les Espagnols pénétrèrent en Champagne avant d’être vaincus à Rocroi, le 19 mai 1643, par le Grand Condé, au sud-ouest de part et d’autre des Pyrénées, au sud-est sur la côte méditerranéenne et en Italie. Les Allemands menés par Matthias Gallas envahirent la Bourgogne en 1636 avant d’être repoussés. Turenne, nommé au commandement de l’armée d’Alsace en 1644 après avoir été fait Maréchal de France, pénétra en Allemagne où il remporta avec l’aide de l’armée suédoise conduite Carl Gustaf Wrangel, la bataille de Zusmarshausen, le 17 mai 1648, face aux troupes austro-bavaroises placées sous les ordres de Montecuccoli, l’un des plus grands théoriciens militaires de son temps. Après ce grave revers du camp Habsbourgeois d’Allemagne, le Grand Condé défit sévèrement l’armée de la branche espagnole à Lens, le 19 août 1648, ce qui ouvrit la voie à la négociation et à la paix.

Entre-temps, Richelieu mourut le 4 décembre 1642, laissant la succession à Mazarin qui fut nommé, le lendemain, Principal Ministre d’Etat. Anne d’Autriche le confirma dans ses fonctions après la mort de Louis XIII, survenue le 14 mai 1643. Nouveau responsable du gouvernement de la France, ce cardinal, sans qu’il soit prêtre, allait être l’un des principaux artisans des traités de Westphalie. Les pourparlers qui aboutirent à ces traités débutèrent en décembre 1644. Richelieu avait fixé les grands principes de la position française qui furent repris par la « grande instruction » du 30 septembre 1643. Dans celle-ci, il apparaît que les revendications territoriales de la France étaient, somme toute, limitées. Parmi celles-ci figuraient, la cession officielle par le Saint-Empire des trois évêchés, Metz, Toul et Verdun et l’annexion du comté de Roussillon. Mais l’objectif principal était de borner le pouvoir de la Maison d’Autriche qui était supposée prétendre à la « monarchie universelle ». C’est là l’élément essentiel de la construction diplomatique qui fera des traités de Westphalie l’un des actes majeurs dans l’histoire des relations internationales, entendues comme les rapports entre Etats souverains.

Trois traités furent conclus :

  • La paix de Münster, le 30 janvier 1648, qui mettait un terme définitif au conflit entre l’Espagne et les Provinces-Unies ;
  • Le traité de Münster, le 24 octobre 1648, entre la France et le Saint-Empire aux termes duquel la première obtenait la cession définitive des trois évêchés et la plus grande partie de l’Alsace à l’exception de Strasbourg ;
  • Le traité d’Osnabrück, le 24 octobre 1648, entre le Saint-Empire et la Suède. 

Au-delà des dispositions classiques observées dans les traités entre les monarchies européennes portant sur des transferts de territoires, les protocoles de Westphalie représentaient donc, en ce milieu du XVIIème siècle, une révolution diplomatique par la reconnaissance du droit des gens ou jus gentium (gens signifie indifféremment peuple ou nation), c’est-à-dire de la souveraineté des Etats. Bien sûr, cette légitimation avait un aspect opportuniste puisqu’elle permettait de limiter légalement le pouvoir de l’Empereur dans le Saint-Empire en octroyant, au sein de celui-ci, à 350 Etats une souveraineté interne et externe. La première, la souveraineté interne, avait pour conséquence d’autoriser les princes à obliger leurs sujets à adopter leur religion (cujus regio, ejus religio – tel souverain, telle religion). Une partition territoriale entre les confessions calviniste, catholique et luthérienne était ainsi reconnue. La souveraineté externe donnait le droit à tout Etat du Saint-Empire de contracter avec un autre Etat de celui-ci ou avec des puissances extérieures des traités et des alliances. Cette organisation du Saint-Empire se maintint jusqu’à sa dissolution en 1806. La ratification officielle par les traités de l’indépendance des Provinces-Unies et de la Confédération suisse relevait de ce principe de souveraineté qui entérinait par la même un recul de la puissance des Habsbourg.

Henry Kissinger dans son livre Diplomatie observe que le nouvel ordre international qui émergeait des traités de Westphalie s’appuyait sur « les concepts de raison d’Etat et d’équilibre des forces ». Il considère que Richelieu, dont il souligne l’empreinte dans l’histoire, serait à l’origine de cette notion d’équilibre des forces.  Or, comme le montre, entre autres, Klaus Malettke dans sa contribution à l’ouvrage sur L’Europe des traités de Westphalie[13], le Cardinal avait plutôt pour ambition l’instauration d’un système de « sécurité collective » sans que cette appellation n’apparaisse jamais. Néanmoins, l’idée ressortait de son instruction principale de février-mars 1637 reprise par Mazarin dans l’instruction principale du 30 septembre 1643. Face à des guerres qui impliquaient presque toute l’Europe continentale et qui dévastaient une partie de celle-ci, le retour à une paix durable nécessitait la définition d’une formule de garantie collective par les parties contractantes aux traités. Le fondement de cette garantie collective devait reposer sur la création de deux ligues en Italie et en Allemagne dont les membres se seraient mutuellement engagés à intervenir contre celui qui aurait rompu la paix. Par la suite, le regroupement de ces deux ligues aurait pu conduire à l’établissement « d’une ligue entre tous les princes de la chrétienté ». Loin de cette construction, les traités intronisaient toutefois deux pays garants de la paix dans le Saint-Empire : la France et la Suède.

On ne saurait s’exprimer sur les traités de Westphalie sans évoquer Grotius, mort en 1645. Certes, sa pensée n’eut aucune influence sur les négociations. Néanmoins, Grotius, auteur en 1609 De la liberté des mers (Mare Liberum) et en 1625 de Sur les lois de la guerre et de la paix (De jure belli ac pacis), est considéré comme le fondateur du droit international. L’époque rompait donc définitivement, par l’esprit et par le politique, avec la vision médiévale des rapports entre les princes dans l’univers du christianisme romain pour verser dans une vision moderne de l’Etat. Nous étions alors au cœur des Temps Modernes

Si les traités de Westphalie rétablirent la paix dans la partie centrale du continent européen, pour autant, ils ne mirent pas fin à la guerre engagée en 1635 par la France contre l’Espagne. La branche espagnole des Habsbourg demeurait puissante et menaçante. Outre la péninsule ibérique, bien sûr, elle était encore le maître des dix provinces du sud des Pays-Bas espagnols, la future Belgique. Quant à la France, au moment où elle écrivait ce qui est peut-être la plus grande page diplomatique de son histoire, elle se trouva confrontée à l’une de ses puissantes révoltes qui marque aussi son histoire, en l’occurrence la Fronde, qui mit en péril le pouvoir royal et celui de son principal ministre : Mazarin. Affaiblie, la France apparut comme une proie plus facile pour les Espagnols qui tirèrent, un temps, profit de la Fronde des Princes avec la trahison du Grand Condé qui les rallia. Turenne, lui-même, chancela en 1650 avant de se raviser et de se voir confier par Mazarin, en 1652, le commandement des armées françaises. Toujours d’une grande habileté, Mazarin conclut une alliance avec l’Angleterre de Cromwell (traité de Paris du 23 mars 1657) et il suscita une opposition à l’élection au trône impérial de Léopold 1er de Habsbourg, fils de Ferdinand III. Turenne, allié aux Anglais, remporta le combat décisif à la Bataille des Dunes, à proximité de Dunkerque, le 14 juin 1658. L’année suivante, le 7 novembre 1659, le Traité des Pyrénées, œuvre de Mazarin, pour la partie française, mit fin à un conflit qui avait duré près de vingt-cinq ans. Outre le gain pour la France de l’Artois et du Roussillon, la clause essentielle est bien le mariage de Louis XIV avec l’Infante Marie-Thérèse d’Autriche. Cependant, cette clause était assortie d’un abandon par l’Infante et pour sa descendance de tous les droits sur la couronne d’Espagne. En contrepartie, cette dernière devait verser une dot de 500 000 écus qui ne sera jamais acquittée ouvrant ainsi des possibilités futures de contestation. Le Bourbon, il faut le préciser, était alors le petit-fils du précédent roi d’Espagne, Philippe III, par sa mère, et le gendre de son successeur Philippe IV, par son épouse.

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Louis XIV : La France à son apogée

Au lendemain de la mort de Mazarin, le 9 mars 1661, Louis XIV, alors âgé de 22 ans, saisit le pouvoir et supprima la fonction de Principal ministre d’Etat. Mais il saura s’entourer de serviteurs éminents : Colbert, Contrôleur général des finances puis Secrétaire d’Etat à la maison du Roi avant d’être Secrétaire d’Etat de la Marine ; Le Tellier et son fils Louvois successivement Secrétaire d’Etat à la Guerre. Hugues de Lionne, Arnauld de Pomponne, Charles Colbert de Croissy (demi-frère de Colbert) et Charles Colbert de Croissy, son fils, occupèrent, à la suite, le Secrétariat d’Etat des Affaires étrangères.

Durant un demi-siècle, délaissant la quête des équilibres diplomatiques, la France, fut la puissance prépondérante sur le continent européen sans être hégémonique car elle se heurta à la vive résistance des autres Etats. Jalonnée par une succession de guerres et de traités qui les concluaient[14], la politique extérieure du grand Roi eut deux bénéfices :

  • Le rattachement au royaume de nouveaux territoires qui le rapprochait encore de ses frontières naturelles et assurait au nord une meilleure couverture de la capitale : en Flandre (Lille, Douai, notamment) ; dans le Hainaut (Cambrai, Valenciennes, Maubeuge) ; Strasbourg avec la Basse-Alsace ; des forteresses en Lorraine (Montmédy, Longwy, Saarelouis, Thionville) ; la Franche-Comté fut cédée par l’Espagne ;
  •  
  • L’accession d’un Bourbon au trône d’Espagne qui mettait ainsi un terme définitif à l’encerclement des frontières terrestres par les Habsbourg.

Si l’on considère que Richelieu avait pour objectif l’instauration d’un ordre européen qui garantirait une paix durable, assurément, Louis XIV, n’a pas été animé par la même conception. Pour le Cardinal, dans cet ordre européen, la France devait jouer un rôle majeur et l’ambition poursuivie passait par une réduction de la puissance Habsbourgeoise. Par la même, le royaume visait à assurer la sécurité de ses frontières. Si les annexions réalisées comme l’accession d’un Bourbon au trône d’Espagne se situaient dans cette dernière ligne, le Roi soleil, en revanche, a rompu avec l’idée d’un ordre européen. Fort de la puissance démographique et militaire de la France, il a voulu imposer une prépondérance de celle-ci.

La politique étrangère est une affaire de vision et elle use des circonstances. Louis XIV aurait confessé à la veille de sa mort qu’il avait trop aimé la guerre. Peut-être ! La situation du royaume en 1715 témoignait du coût représenté par l’enchaînement de conflits devenus de plus en plus destructeurs avec la croissance des armées et de leurs moyens. Pourtant, le règne ne s’apparenta nullement à une chevauchée impériale.  L’héritage espagnol doit être regardé comme l’élément central de son action extérieure. Le mariage avec l’Infante d’Espagne, voulu par Mazarin, a été l’atout initial malgré la renonciation au trône espagnol qu’il impliquait pour la nouvelle épouse. Certes, cette renonciation était assortie d’une dot d’un montant exorbitant par rapport aux moyens financiers dont disposait le royaume ibère. La mort de Philippe IV en 1665 devait créer la contingence dont profita opportunément le monarque français d’autant plus que cette mort préfigurait l’extinction de la branche madrilène de la Maison d’Autriche. Charles II, seul successeur mâle, alors âgé de quatre ans, fils d’un second mariage de Philippe IV, était d’une santé déjà fragile qui laissait augurer une longévité limitée. Il devait s’éteindre sans progéniture en 1700.

La guerre de Dévolution

D’emblée, la diplomatie française, subtile, exhiba une vieille règle ayant cours au Brabant aux termes de laquelle les enfants d’un premier mariage ont un droit exclusif à l’héritage de leurs parents. Ce fut la cause de la guerre de Dévolution (1667-1668), opposant l’Espagne à la France après la mort de Philippe IV et qui permit à la seconde de s’emparer, dans les Pays-Bas espagnols, de places essentielles pour elle, Lille, Maubeuge, Cambrai, Valenciennes (traité d’Aix-la-Chapelle – 1668).

Le conflit, territorialement limité, présageait l’affrontement entre l’empereur d’Allemagne, Léopold 1er,et Louis XIV qui suivrait l’extinction de la lignée espagnole. Face à cette perspective, les deux souverains optèrent, à ce moment-là, pour la solution diplomatique. Ils s’accordèrent, le 19 janvier 1668, par un traité, tenu secret, aux termes duquel Versailles et Vienne fixaient un principe de partage d’ensemble de l’héritage de Philippe IV. Signé par Grémonville pour la partie française, le traité concédait à celle-ci les Pays-Bas espagnols, la Franche-Comté, Naples, la Sicile tandis que le trône d’Espagne était récupéré par la Maison d’Autriche. Si Louis XIV, désireux de s’emparer d’une part des possessions espagnoles évitait de cette manière la guerre pour parvenir à ses fins, Léopold 1er, menacée à l’est et au sud par la poussée turque, conjuguée à l’effervescence de la noblesse hongroise, écartait ainsi le spectre d’un combat sur deux fronts. 

Ce traité constituait une concession essentielle de l’Empereur puisque celui-ci consentait à l’abandon par la Maison d’Autriche d’une part de ses domaines, considérés jusque-là comme inaliénables. Il resta sans suite. Léopold 1er montra peu d’empressement à approfondir les négociations. De son côté Louis XIV n’offrit pas, c’est le moins que l’on puisse dire, de garanties quant à ses orientations pacifiques. En effet, dès 1670, les troupes françaises occupèrent Nancy, capitale de la Lorraine ducale[15], terre d’Empire. Puis, en 1672 la France attaqua la Hollande.

La guerre de Hollande

Cette guerre signait la rupture avec la politique de Richelieu qui aspirait à établir un ordre européen au sein duquel la France serait une partie principale d’un système d’alliances destiné à l’assurer. L’intervention française fut motivée d’une part, par la volonté du roi du poursuivre l’expansion française dans les Pays-Bas espagnols et d’autre part, sous l’influence de Louvois, par le souhait de saper la concurrence économique que représentait pour la France la Hollande. De plus, il ne faudrait pas oublier que les Provinces-Unies étaient devenues un refuge pour les opposants protestants au roi de France.

En préalable à l’engagement militaire, la diplomatie française avait entrepris d’isoler la Hollande par la dissolution de son alliance avec l’Angleterre et la Suède et par un accord de neutralité de l’Empereur. Cependant, l’Espagne, pour conserver ce qui lui restait comme possessions dans ce qui avaient constitué autrefois ses dix-sept provinces des Pays-Bas, s’allia à son ancien adversaire, qui avait conquis son indépendance à ses dépens. Défaite sur la mer par les Hollandais avec leur allié anglais, la France a d’abord connu de vifs succès dans sa campagne terrestre. Mais trois éléments devaient profondément modifier les rapports de force. D’abord, la résistance farouche opposée par Guillaume III d’Orange, nommé en 1672 stadhouder (gouverneur général) de Hollande ; puis, en 1673 la déclaration de guerre à la France de Léopold ; enfin, le mariage en 1677 de l’héritière du trône d’Angleterre, Marie d’York avec Guillaume III, prélude à un rapprochement entre Londres et La Haye.

La puissance militaire française[16] permit au royaume d’aborder les négociations de paix dans une situation favorable. Ce fut le traité de Nimègue (10 août 1678). La France y gagna, notamment, la Franche-Comté qui fut cédée par les Espagnols, des places-fortes au nord (Saint-Omer, Cambrai, Valenciennes…) et quelques territoires dans les Antilles.

La guerre de Hollande eut pour conséquence un renversement de la position internationale que la France occupait depuis Richelieu. Du pôle d’équilibre de l’ordre européen auquel l’avait conduite la politique menée par le Cardinal et son successeur, elle faisait maintenant figure d’un Etat à visée dominante encourant le risque d’un isolement diplomatique et d’une alliance des autres puissances pour endiguer son ascension.

Les Réunions

Vainqueur, Louis XIV voulut encore pousser l’avantage. Comme dans l’affaire des dévolutions, il recourut à des usages datant du Moyen-Age et il s’appuya sur certains termes des traités de Westphalie et de Nimègue selon lesquels les territoires aliénés à la France l’étaient avec leurs dépendances. En vertu de quoi le roi annexa des terres d’Empire[17]. Cette « politique des Réunions » toucha l’Alsace, la Lorraine et la Franche-Comté (annexion du comté de Montbéliard). De plus, dans le prolongement, sans que cela soit une « Réunion », une armée française, sous le commandement du roi, s’empara de Strasbourg le 30 septembre 1681. L’avancée française se poursuivit à l’intérieur des Pays-Bas espagnols. Là, elle provoqua la réaction de Charles II qui déclara la guerre à la France. Mais l’Espagne resta isolée. La France disposait encore de solides alliances avec les princes protestants allemands ; les Provinces-Unis ne souhaitaient nullement s’engager dans une nouvelle guerre ; surtout Léopold 1er était confronté aux Turcs qui assiégeaient Vienne. Les traités de Ratisbonne signés d’une part avec l’Espagne et d’autre part avec l’Empereur entérinèrent les annexions françaises et instaurèrent une trêve de vingt ans.

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Inévitablement, cette volonté irrépressible de captation de territoires, quelle que soit la forme pratiquée, devait susciter une résolution adverse d’endiguement.

La guerre de la Ligue d’Augsbourg

En juillet 1686, à la suite de la revendication formulée par Louis XIV pour la succession du comte Palatin[18], l’Empereur, le roi d’Espagne, le roi de Suède, l’électeur de Bavière et les principautés et les villes du cercle de Franconie constituèrent une alliance défensive : la Ligue d’Augsbourg.

Il s’agissait de la première pièce de l’ensemble qui va se former pour contrer les ambitions françaises, vues comme hégémoniques. Trois facteurs allaient jouer contre la France :

  • Le reflux ottoman, les Turcs abandonnant Belgrade le 6 septembre 1688 ;
  • La révocation de l’Édit de Nantes qui contribua à détourner les princes protestants du Saint-Empire de l’alliance qui datait de la guerre de Trente ans ;
  • La prise du trône d’Angleterre par Guillaume d’Orange.

La guerre dite de la Ligue d’Augsbourg débuta le 24 septembre 1688 lorsque l’armée française franchit le Rhin. Dès le 22 octobre, les princes allemands du Brandebourg, de Saxe, de Hanovre, de Hesse-Cassel se joignirent à la Ligue ce qui renversait les rapports de force. Face à cette situation qui n’avait pas été anticipée et qui laissait envisager une menace sur les frontières, Louvois ordonna en février 1689 une opération qui fera date dans la pratique de la guerre : le sac méthodique du Palatinat. S’il toucha l’ensemble des biens matériels, le sac épargna les populations qui durent évacuer préalablement les territoires visés.

Guillaume III d’Orange se joignit à la coalition contre la France en mai 1689 apportant donc le concours de l’Angleterre et de la Hollande et de leurs flottes militaires.

Au total, le conflit dura neuf ans. Sur le continent, les combats se déroulèrent à la périphérie du royaume de France : dans les Pays-Bas espagnols, en Rhénanie, en Catalogne, en Italie du Nord. Parallèlement, Guillaume III d’Orange et Jacques II Stuart s’affrontèrent en Irlande. La guerre navale fut importante dans ses dimensions et ses conséquences. La principale bataille fut celle de La Hougue. Commandant une flotte numériquement inférieure, Tourville après avoir résisté de longues heures ordonna un repli au cours duquel une partie des bâtiments fut perdue mais leurs équipages sauvés. Sous l’angle tactique la défaite fut relative mais du point de vue stratégique elle manifestait la suprématie navale acquise par la Grande-Bretagne qu’elle conserva jusqu’à la seconde guerre mondiale. Enfin, les affrontements atteignirent aussi les possessions d’Amérique du Nord et des Indes. Pour la première fois une guerre européenne impliquait les empires coloniaux par l’extension des théâtres d’opération. 

Même si le coût de cette longue guerre fut considérable pour la France, sa puissance militaire lui permit d’aborder les négociations de paix dans une position favorable. Elles se conclurent par les traités de Ryswick signés en septembre et octobre 1697 avec l’Angleterre, l’Espagne, les Provinces-Unis et le Saint-Empire. Ces traités s’inscrivaient dans la constante observée chez les princes européens de recouvrer, à l’issue de leurs affrontements, un équilibre évitant tout déshonneur ou toute humiliation propice à une volonté de revanche.

Si la France renonçait aux « réunions » et à la possession de places fortes en avant de ses frontières, elle conservait en revanche l’Alsace. La lorraine était restitué au duc qui épousait la nièce de Louis XIV. Lucien Bely[19] en retire que la vision stratégique a changé : l’idée défensive de la frontière solide, ou de la barrière, l’emporte sur la tentation d’avoir des têtes de pont en territoire étranger. Outre-mer, les Espagnols abandonnaient aux Français la partie occidentale de Saint-Domingue et Pondichéry était restitué par les Hollandais.

La guerre de succession d’Espagne

Dernier acte de politique extérieure du règne, là où finalement se joua son sort au regard de l’histoire : la guerre de succession d’Espagne. Si la fortune avait été contraire, il est probable qu’il n’y aurait pas eu de Grand Roi et la destinée du pays aurait été autre. Face à une alliance qui réunissait l’Angleterre, les Provinces-Unies, l’Empereur d’Allemagne, à laquelle se joignirent des princes de l’Empire dont ceux de Prusse et du Hanovre, la France, malgré sa puissance abordait le conflit dans une position défavorable. Après des premiers succès militaires, les armées françaises subirent des défaites qui obligèrent à des négociations. Les conditions que voulaient imposer l’adversaire étaient humiliantes pour le roi et le pays avec toutes les conséquences possibles pour la monarchie absolue. Mais, c’est au moment où tout semblait perdu, en 1709, que la France s’est rétablie par un magnifique élan politique, diplomatique et militaire et aussi par le jeu des circonstances. Bien que très affaiblie par le coût du conflit, aggravé par des conditions climatiques qui ruinèrent l’agriculture, la France à l’issue des traités d’Utrecht avoisinait ses frontières naturelles et était arrivé à substituer un Bourbon à un Habsbourg sur le trône d’Espagne. La paix semblait alors garantie sur le flanc sud du pays.

La succession d’Espagne, anticipée depuis longtemps, avait été ouverte par la mort de Charles II, sans héritier direct, le 2 octobre 1700. Plusieurs protocoles de partage avaient été signés depuis le traité secret du 19 janvier 1668. Ils avaient pour objectif une répartition équilibrée des possessions espagnoles entre les ayants droits de Philippe IV. La prétention à l’héritage par le jeu des mariages d’un fils de l’Electeur de Bavière, Joseph-Ferdinand, offrit un moment la possibilité de désigner le nouveau souverain espagnol hors des dynasties Habsbourg et Bourbon. Mais le postulant mourut en 1699. Un dernier accord avait été conclu en mars 1700 entre Louis XIV, les Provinces-Unis et l’Angleterre. Comme le rapporte François Buche[20] : dans toute cette négociation les chancelleries européennes n’avaient tenu aucun compte des Espagnols, ni de leur sentiment national. Finalement, Charles II, soucieux d’éviter la dispersion de l’empire espagnol donc la rétrogradation politique du royaume ibère, coucha sur son dernier testament le duc d’Anjou, Philippe, deuxième fils du Grand Dauphin comme légataire du trône et de toutes les possessions attenantes.

Après quelques hésitations, Louis XIV, mari de l’Infante Marie-Thérèse, reconnut Philippe V comme roi d’Espagne.

La guerre alors inévitable éclata en 1702. Les opérations militaires d’abord favorables aux Français tournèrent ensuite à leur désavantage. En 1706 ils furent battus dans les Pays-Bas espagnols par le duc de Malborough et en Italie par Eugène de Savoie. En 1708, Louis XIV engagea des pourparlers mais l’une des conditions posées par les anglo-hollandais était humiliante car ils exigeaient qu’il déposât lui-même son petit-fils. Une grande politique étrangère est l’art de saisir les réalités, le désir d’humilier est une faute. Le Roi Soleil qui savait concéder lorsque cela s’avérait nécessaire ne pouvait pas accepter ce qui ébranlait son prestige et donc d’une certaine manière la légitimité royale vis-à-vis du pays. Alors, pour la première fois dans l’histoire le roi s’adressa directement à son peuple, le prenant à témoin des prétentions adverses. Ce fut l’appel au peuple du 12 juin 1709. Les Français étaient alors très éprouvés par les conséquences de la guerre mais aussi par les rigueurs climatiques qui avait provoqué des disettes. Le miracle se produisit. La situation militaire fut soudainement redressée. Si l’armée française de Villars retraita à Malplaquet le 11 septembre 1709, ce fut en bon ordre après avoir infligé aux troupes de Malborough et d’Eugène de Savoie des pertes bien supérieures aux siennes. Le 10 décembre 1710, le duc de Vendôme et Philippe V battirent une armée anglo-autrichienne à Villaviciosa sauvant ainsi le trône du Bourbon. Enfin, par une remarquable manœuvre Villars défit Eugène de Savoie à Denain, le 23 juillet 1712. Les négociations reprirent sous la conduite du remarquable Colbert de Torcy pour la partie française. Le contexte diplomatique avait aussi évolué et offrait à la France quelques atouts. L’Empereur Joseph 1er était mort en 1711 et le prétendant Habsbourg au trône d’Espagne, l’archiduc Charles, lui avait succédé. La revendication de Léopold 1er exprimé en septembre 1703[21] menait donc à la réunion des couronnes de Vienne et de Madrid ce qui ne pouvait que déplaire à Londres et à La Haye. Par ailleurs, comme l’observe Jean-Christian Petit-Fils, à Londres la reine Anne changea de ministre en avril 1710. Sous l’impulsion du secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Henri Saint-John, le nouveau cabinet, se distança quelque peu des préoccupations habsbourgeoises et recentra la politique étrangère britannique sur une vision maritime et coloniale plus égoïste[22].

La guerre s’acheva par des paix séparées. La première fut signée à Utrecht en 1713 et réunissait la France, l’Angleterre, les Provinces-Unies mais aussi le Portugal, la Prusse, la Savoie. Selon François Bluche, il s’est agi d’une brochette de conventions particulières. L’Empereur, resté seul, poursuivit la guerre mais il dut y mettre un terme par le traité de Rastatt du 6 mars 1714, parfait par le traité de Bade du 7 septembre 1714. Ces traités qui ne laissèrent pas dans l’histoire une trace aussi symbolique que ceux de Westphalie, pour un ensemble de raisons, se substituèrent à ces derniers pour asseoir un nouvel ordre européen, certes précaire.

En définitive, Philippe V dut renoncer à ses droits sur le trône de France[23]. De plus, il perdit une part des possessions de Charles II puisque les Pays-Bas espagnols revenaient à la Maison d’Autriche comme Milan, Naples, la Toscane et la Sardaigne. Ainsi s’instaurait une domination autrichienne sur l’Italie qui durera jusqu’au Second Empire français.

Si la France dut évacuer des villes tenues sur la rive droite du Rhin, elle acquit la principauté d’Orange et, au sud des Alpes, la vallée de l’Ubaye et Barcelonnette. Elément fondamental pour l’avenir, les précédentes conquêtes de Louis XIV ne furent pas remises en cause. Outre-mer, aux Amériques, la France fit quelques concessions à l’Angleterre mais elle conserva Saint-Domingue et ses richesses sucrières.

Dix-huit mois après Rastatt, à un jour près, le Grand Roi s’éteignit. Pendant ce long règne, en particulier vers sa fin, le pays a beaucoup souffert des guerres qui laissèrent certainement des séquelles quant à la relation du pays avec la monarchie. Néanmoins, la France de 1715, si elle n’était pas cette nation dominante comme l’avait probablement rêvé Louis XIV, était un pays géographiquement plus vaste que celui de Louis XIII. Elle approchait ses barrières naturelles. A l’est, il ne lui manquait plus que la possession définitive de la Lorraine et au nord, elle détenait un ensemble de places fortes face aux Pays-Bas espagnols, la future Belgique. Le Roi Soleil était parvenu à cette fin non seulement par le recours aux armes mais aussi par l’usage habile des différentes faces de la diplomatie. Dans sa lutte contre l’Empereur de Vienne, il sut profiter de la pression turque sans trop se compromettre vis-à-vis de la chrétienté. Il faut noter que des contingents français participèrent au combat contre les ottomans à Saint-Gotthard en 1664 et à Candie en 1669. Il ne soutint pas le Turc lors du siège de Vienne de 1683. La défaite de la Sublime Porte et son recul dans les années qui suivirent n’offrirent pas de possibilité d’une alliance de revers pendant la longue guerre de succession d’Espagne.

L’Europe de 1715 était profondément transformée par rapport à la carte politique qui prévalait au moment de l’avènement de Richelieu. L’Angleterre après une éclipse était redevenue une pièce essentielle de l’ordre européen mais dans un sens nouveau. Puissance maritime, commerciale et coloniale, ce qui lui importera dorénavant est l’équilibre des forces sur le continent européen afin qu’aucun Etat ne puisse le dominer. L’Espagne avait définitivement perdu la puissance qu’elle avait autrefois exercée. La Suède aussi avait dû abandonner son rôle de puissance de premier rang. Elle avait rencontré deux adversaires qui allaient devenir des acteurs majeurs de la scène européenne : le Brandebourg, devenu royaume de Prusse en 1701 par la volonté du Grand Electeur, qui l’avait battu à Fehrbellin le 28 juin 1675 et la Russie qui la défit à Poltava le 8 juillet 1709. L’Empire Ottoman qui signa avec la Maison d’Autriche la paix de Carlowitz en 1699 entama un long recul qui modifia l’équilibre européen. L’Autriche se dilata vers le sud de l’Europe, se décentrant ainsi par rapport à l’Allemagne ce qui favorisera le jeu prussien. Enfin les empires coloniaux prirent de l’importance dans les confrontations européennes avant de devenir de véritables enjeux.

Le tournant de l’histoire de France

Si le XVIIIème siècle, dans la partie qui le caractérisa, qui court de la Régence à la Révolution française, fut moins belliqueux que les deux siècles qui le précédèrent, il n’empêche que les conflits qui s’y déroulèrent furent saillants quant à leurs effets sur la France et l’équilibre européen. A cet égard, la guerre de Sept ans qui occupa le milieu du siècle modifia de manière profonde et durable les rapports de force. L’autre conflagration aux conséquences considérables fut la guerre d’indépendance américaine. Son théâtre fut extérieur au continent mais il allait induire pour celui-ci des bouleversements fondamentaux. Il pouvait apparaître au premier abord, pour la France, comme une forme de revanche vis-à-vis de l’Angleterre par rapport à la guerre de Sept ans. Mais au-delà de cette observation qui réduit le recours aux armes des treize colonies à un conflit classique, il s’est agi de la première rupture entre une possession d’un Etat européen et l’une des colonies qu’il avait créée depuis l’ouverture des voies maritimes à la fin du XVème siècle. De plus, à une époque où la pensée dominante était tournée vers des idées émancipatrices, cette révolution américaine débouchant sur la création d’une République ne fut pas sans influence sur le cataclysme qui allait frapper la société française.

Avant la rupture historique, symbolisée par la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, ce temps, resté dans l’histoire comme le Siècle des Lumières, portant ainsi l’intelligence française au sommet de sa renommée, fut aussi celui de l’inflexion de la puissance du pays. Avec la guerre de Sept ans, il perdit sa place dominante dans le concert européen tout en demeurant la première puissance. Certes, nul ne peut savoir ce qu’aurait été la destinée du pays après le succès de la guerre américaine si la Révolution et l’Empire n’avaient pas bouleversé les choses. Mais, plus profondément, la France, si elle était la nation la plus peuplée d’Europe, entamait sa transition démographique. La croissance des populations allemandes et britanniques, beaucoup plus forte, devait transformer, à terme, les rapports de force. Quant à la Révolution industrielle née en Angleterre à la fin du XVIIIème siècle et qui fit de celle-ci la première puissance économique européenne, qu’en aurait-il été aussi pour la France sans la Révolution dans la forme qu’elle a prise ?

La Régence : une large alliance pour garantir la paix

Que dire de la politique étrangère de la Régence, période durant laquelle Philippe d’Orléans exerça le pouvoir après la mort de son oncle Louis XIV jusqu’à son propre décès, le 2 décembre 1723 ?

Avec le Grand siècle, la France avait atteint son apogée. Son espace géographique était élargi. Elle était le pays le plus peuplé et le plus riche d’Europe. Néanmoins en 1715, ses finances n’étaient guère brillantes. Si le tribut des guerres avait été lourd, la santé du pays avait été marquée plus encore par ce que l’on appelle le petit hiver glaciaire qui avait provoqué la chute des récoltes avec toutes ses conséquences. L’Europe dans son ensemble était plus à la recherche de la paix qu’à la quête de nouvelles aventures militaires. Dans ce contexte, au-delà de certaines apparences, le Régent eut une politique étrangère bien arrêtée dans la ligne à suivre comme le souligne Jean-Christian Petit-Fils. Déterminé à l’endroit de l’alliance anglaise, il avait également le souci de ménager l’Espagne de Philippe V. Dans un système de pouvoir où il n’était pas le monarque absolu, il resta le maître de la décision. Si l’abbé Dubois, défenseur inconditionnel d’un traité avec l’Angleterre, joua un rôle majeur, il n’eut pas, pour autant, la maîtrise de cette politique étrangère. En face, notamment, le Maréchal d’Huxelles (membre du conseil de Régence et président du conseil des affaires étrangères) incarnait la solidarité entre les deux dynasties Bourbon. Bon manœuvrier dans le jeu intérieur, Philippe d’Orléans imposa sa vision qui conduisit à une triple alliance avec l’Angleterre et la Hollande puis à une quadruple Alliance avec la Maison d’Autriche. Une guerre brève éclata avec l’Espagne qui s’était engagée sous l’influence néfaste de l’abbé devenu cardinal Alberoni dans des aventures italiennes illusoires (un débarquement en Sicile pour en chasser la Maison de Savoie). Le rapide succès français et la destitution d’Alberoni permirent une réconciliation dont la traduction devait être le mariage de Louis XV avec l’Infante d’Espagne, projet auquel le roi de France renonça.

Durant cet interrègne débuta la relation diplomatique entre la France et un nouvel acteur du jeu européen : la Russie de Pierre le Grand. Celui-ci fit un séjour mouvementé du fait de ses multiples incartades dans la patrie des arts et du raffinement. A la recherche d’une alliance française, il obtint le traité d’Amsterdam du 19 août 1717 auquel la Prusse fut associée. La France, en limitant ses engagements vis-à-vis de la Russie, écartait le risque d’une entente austro-russe. Pour la première fois, des relations diplomatiques, par l’échange d’ambassadeurs, étaient établies entre Paris et Moscou.     

Louis XV : Une puissance en repli

Le traité de Paris, signé le 10 février 1763, qui mit un terme à la guerre de Sept ans, fut, par ses conséquences, l’évènement majeur de la politique internationale conduite durant le règne. Un siècle plus tôt, à l’issue d’une autre guerre dénommée par sa durée, la guerre de Trente ans, la France avait accédé à la plus haute marche parmi les puissances. Là, elle perdit les plus belles parts (le Canada et les Indes) de son premier empire colonial, le plus florissant. Elle avait dorénavant, face à elle, une Angleterre dont le souci, jusqu’à l’effondrement européen de la seconde guerre mondiale, sera de faire obstacle à toute domination d’un Etat sur le Continent.

Menée jusqu’en 1743 par le Cardinal de Fleury, nommé Ministre d’Etat en 1726, la politique étrangère de la France avait pour ligne directrice l’établissement de rapports stables et pacifiés entre les Etats Européens. La succession au trône de Pologne fut la première crise à laquelle le nouveau roi fut confronté. Son beau-père, Stanislas Leszczynski, avait été réélu en 1733 roi de Pologne. Les intrigues de Chauvin, le collaborateur de Fleury ne comptèrent pas pour rien dans cette désignation. Celle-ci suscita l’opposition de la Russie qui intervint militairement. Des coalitions se formèrent. La France, alliée à l’Espagne et au Piémont-Sardaigne entra en guerre contre Vienne. Si l’aventure militaire échoua à l’est, laissant Varsovie au candidat de la Tsarine, en revanche la campagne menée à l’ouest sur les terres de l’Empire fut victorieuse ce qui permit d’ouvrir des négociations dans des conditions favorables. Ces négociations comportaient un aspect essentiel pour le roi de France : l’avenir du duché de Lorraine. Par une Pragmatique Sanction, l’Empereur Charles VI avait désigné sa fille Marie-Thérèse comme l’héritière des possessions de la Maison d’Autriche. Celle-ci, en tant que femme, ne pouvant accéder au trône impérial, Charles VI avait prévu que la couronne reviendrait à son époux François-Etienne duc de Lorraine et comte de Bar. La réunion de la Lorraine aux terres d’Empire était inacceptable pour Louis XV. Par la paix de Vienne du 2 mai 1738, il fut donc convenu que Stanislas Leszczynski qui avait perdu son pouvoir royal en Pologne en conserverait le titre et surtout que le duché de Lorraine et le comté lui étaient cédés. A sa mort, ces territoires reviendraient à la couronne de France. A l’est la France atteignait ainsi ses frontières naturelles.

Cette nouvelle paix fut éphémère. Le 20 octobre 1740 mourait l’Empereur Charles VI, mettant ainsi à l’épreuve des réalités sa pragmatique sanction. La jeunesse et l’inexpérience de son héritière à la tête de la Maison d’Autriche, l’archiduchesse Marie-Thérèse, suscitèrent, une mise en cause des dispositions prises par son père et des convoitises. Ces dernières survinrent presque immédiatement avec l’annexion de la riche Silésie par Frédéric II, roi de Prusse depuis le 31 mai précédent. En un siècle cette Prusse qui était en réalité l’Etat du Brandebourg avait connu une prodigieuse ascension. Le Grand Electeur, Frédéric Guillaume 1er, avait doté l’ancienne Marche des moyens administratifs et militaires d’un Etat moderne. Son petit-fils, le Roi Sergent de cet Etat du Saint Empire devenu le royaume de Prusse en 1701 avait encore considérablement accru la force de l’appareil militaire. Le fils, Frédéric II, grand stratège, devait élever la Prusse au rang des premières puissances européennes, bouleversant à nouveau l’échiquier du continent.

De son côté, Charles Albert de Bavière se porta candidat au trône impérial face à l’époux de Marie-Thérèse : François-Etienne de Lorraine.

Partisans d’une politique de paix, Louis XV et Fleury ne souhaitaient nullement engager la France dans une nouvelle aventure militaire. Mais l’influence de Belle-Isle en décida autrement. Promu au pouvoir impérial, François-Etienne pourrait être tenté de rétablir la Lorraine dans le Saint-Empire. L’activisme du descendant du Surintendant Fouquet l’emporta. La France s’allia au Prussien et Maurice de Saxe conduisit l’armée française sur les terres allemandes, les amenant jusqu’à Prague. L’Angleterre, dont le roi George II était duc de Hanovre (duc de Brunswick-Lunebourg) et Grand Electeur, entra dans le jeu, poussant l’Autriche et la Prusse à conclure la paix. Ce fut le traité de Breslau du 11 juin 1742.

Après des opérations militaires l’opposant aux armées autrichiennes et anglo-hanovriennes, la France déclara la guerre à l’Angleterre et à l’Autriche le 15 mars 1744. Vainqueur à Fontenoy, le 11 mai 1745, l’armée française poursuivit ses succès dans les Pays-Bas autrichiens.

Là, la campagne militaire victorieuse ne fut suivie d’aucune acquisition territoriale. Aux termes du Traité d’Aix-la-Chapelle de 1748, l’armée française se retira des Pays-Bas autrichiens[24] et, en Inde, la France rendit Madras aux Anglais. En revanche, la Prusse se voyait reconnaître l’annexion de la Silésie. Frédéric II apparaissait comme le vainqueur du conflit : selon l’expression, la France « avait travaillé pour le roi de Prusse ». S’agissant de la couronne impériale, à la mort de Charles-Albert de Bavière en 1745, François-Etienne de Lorraine fut élu empereur des romains, premier monarque de la branche Habsbourg-Lorraine.

Ainsi, un siècle après la signature des traités de Westphalie, la France commençait à perdre cette position dominante qui lui permettait d’imposer ses vues. La guerre de Sept-Ans qui débuta en 1756 dessina par son déroulement et son issue les prémisses d’un infléchissement de la puissance française.

Au-delà de l’angle français, cette guerre de Sept Ans constitue un évènement majeur dans l’Histoire. Il s’agit du premier conflit mondial en ce sens que les affrontements entre les Etats européens débordèrent du Vieux continent et touchèrent d’autres parties de la planète, en Amérique, en Asie, en Afrique où les Etats de la façade ouest s’étaient implantés depuis l’ouverture des routes océaniques à la fin du XVème siècle. Par ailleurs, à l’est, la guerre consacra l’intégration de la Prusse et de la Russie dans l’ordre continental. Le centre de gravité de celui-ci se trouvait ainsi déplacé.

Plus que jamais auparavant, la France se trouva dans cette double position d’assumer son rôle de puissance maritime et de puissance continentale. L’Anglais visait d’abord l’empire colonial en s’assurant d’un équilibre sur le continent. Le Prussien s’élevait en rival de la Maison d’Autriche sur les terres d’Empire. Quant au Russe, d’abord adversaire de la Prusse dont il redoutait la puissance ascendante, les impondérables d’une succession amenèrent un retournement de la politique précédemment suivie vis-à-vis de cette Prusse.

Pour la France et probablement pour la destinée de la monarchie, l’élément central fut l’alliance conclue avec la Maison d’Autriche, l’ennemie depuis Charles Quint. Voulu par Marie-Thérèse et mené par Kaulnitz, le rapprochement fut scellé par le traité de Versailles du 1er mai 1756. Incontestablement, ce renversement diplomatique heurta une partie de l’opinion et de l’armée.

Avec l’Angleterre, si la guerre fut officiellement déclarée le 17 avril 1756, les opérations militaires débutèrent en Amérique du Nord dès 1754. Dans une première phase, les Français prirent l’avantage qu’il s’agisse du Nouveau Monde ou de l’affrontement naval en Méditerranée, à Minorque. Néanmoins, la Marine française ne pouvait faire face à la Royal Navy qui monta progressivement en puissance. La flotte britannique bloqua l’arrivée de renforts dépêchés de métropole vers le Canda et les Indes. Il s’ensuivit les défaites des détachements français dans ces deux territoires.

Sur le Continent, après quelques succès, notamment à Hastenbeck, le 26 juillet 1757, contre une armée Hanovrienne commandée par le duc de Cumberland, les troupes françaises commandées par Soubise se heurtèrent à celles de Frédéric II. Ce dernier, précédemment battu par les Autrichiens à Kolin le 18 juin 1757 et par les Russes à Gross-Jägersdorf, le 30 août s’était retourné contre les Français et leurs alliés impériaux. Il les battit à Rossbach, le 5 novembre 1757. Il s’est agi pour la France d’un tournant dont elle ne se relèvera pas dans la suite de la campagne.

Des négociations furent engagées avec l’Angleterre et leur aboutissement fut facilité par la chute de William Pitt l’Ancien très hostile à la France. L’habileté de Choiseul promu Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères en 1758 et la volonté du nouveau Premier ministre anglais Lord Burt, pressé d’en finir, permirent la signature du Traité de Paris, le 10 février 1763 dont les conditions furent probablement moins désavantageuses qu’elles n’auraient pu être au vu de la situation militaire. Certes, la France perdait ses colonies de l’Amérique du Nord et ses positions acquises aux Indes mais elle conservait les riches îles sucrières des Antilles, Saint Pierre-et-Miquelon, Gorée et les cinq comptoirs des Indes[25].

Néanmoins, le revers était indiscutable dans une Europe politique qui avait profondément changé depuis la carte définie en Westphalie : à l’ouest la thalassocratie anglaise ; à l’est la tellurocratie avec les nouvelles puissances prussienne et russe.

Dans les seize années qui suivirent jusqu’à la mort du roi en 1774, la France intégra définitivement la Lorraine en 1766. En 1768, Choiseul signa un autre traité de Versailles avec la République de Gênes qui transférait à la France la souveraineté sur la Corse. Marques d’affaiblissement, Louis XV ne put s’opposer au premier partage de la Pologne en 1772 et l’aide fournie par la France au traditionnel allié ottoman n’empêcha pas sa défaite face à la poussée russe vers la mer Noire (traité de Kutchuk-kainardji du 21 juillet 1774).

Louis XVI : le redressement… A quelles conséquences !  

Comme le souligne Jean-Christian Petit-Fils, le traité de Paris de 1763 avait profondément humilié la France[26]. La puissance la plus riche et la plus peuplée du continent européen était donc animée par une volonté de restaurer sa position internationale. Défaite par les armes, il lui fallait relever son outil militaire. Choiseul lança un programme de construction de navires afin de renforcer sensiblement la Marine en quantité et en qualité. L’Armée fut réformée et réorganisée. A cet égard, le Maréchal de Broglie prôna une décomposition de la « masse de manœuvre » en divisions, corps associant l’infanterie, la cavalerie et l’artillerie[27]. S’agissant de cette dernière Gribeauval créa un système complet donnant à cette arme une supériorité sur ses rivales européennes.

Si Vergennes, secrétaire d’Etat des Affaires étrangères de 1774 à 1787, fut la figure de la politique extérieure menée sous le règne de Louis XVI, le roi, monarque absolu, n’en resta pas moins le décisionnaire. Or le souverain, d’une nature pacifique, détourné de toute volonté d’étendre encore les possessions du royaume, bien conseillé par son ministre, sut se montrer déterminé et avisé dans les choix qui lui revenaient.

En comparaison de sa position prépondérante du XVIIème siècle, la France souffrait d’un double affaiblissement : d’une part, son recul dû à la guerre de Sept ans ; d’autre part, la transformation de l’équilibre géopolitique de l’Europe. Pour cette puissance à la fois maritime et continentale, les espaces s’étaient considérablement étendus. Sur mer, l’apparition de vastes empires coloniaux, sources de richesses donc de rivalités, imposait une maîtrise des voies maritimes qui les reliaient à leur métropole. Sur terre, l’extension vers l’est de l’Europe politique avec l’émergence de la puissance russe et celle de la Prusse qui se posait dorénavant en rivale de la Maison d’Autriche pour la domination de l’Allemagne, déplaçait le centre de gravité géopolitique du continent et obligeait donc à des choix.

Face à ces deux théâtres possibles de confrontation, la France privilégia la revanche envers Londres.

A l’est, en 1778, Joseph II, Empereur d’Allemagne, fils de Marie-Thérèse crut pouvoir bénéficier du décès de l’Electeur de Bavière, sans héritier, pour annexer à ses possessions une partie des territoires de cet Etat. Bien sûr, Frédéric II ne pouvait pas rester indifférent face à un tel coup de force. Louis XVI, sur la même ligne que Vergennes, résista aux pressions, notamment celles de son épouse, qui le poussaient à soutenir Vienne, entraînant le pays dans un nouveau conflit. Finalement, en intervenant comme médiateur, la France retrouva du prestige comme arbitre de l’ordre européen.

En cette même année 1778, le 6 février, la France signait un traité secret avec les représentants des treize colonies américaines qui avaient proclamé leur indépendance à Philadelphie, le 4 juillet 1776. Ce traité prévoyait une alliance éventuelle et défensive dans le cas d’un conflit entre la France et la Grande Bretagne[28]. Après une multiplication d’incidents opposant les colons et leurs tuteurs anglais, c’est en 1775, à Lexington, que débuta réellement la guerre d’indépendance. Soucieuse de préserver la paix, la France, dans un premier temps, s’abstint de tout engagement dans une guerre qui pouvait d’ailleurs s’achever rapidement au vu des intérêts communs aux deux parties. Mais le durcissement de la position britannique qui se manifesta notamment par l’arraisonnement de navires marchands français amena Versailles à réviser sa politique. Il s’est agi d’abord d’une action clandestine menée par une société commerciale créée par Beaumarchais qui livrait de l’armement[29]. En outre, malgré l’interdiction faite aux officiers français de s’engager auprès des insurgés, le recrutement put se faire sans difficultés. C’est ainsi que La Fayette gagna l’Amérique. Puis en 1778, la France, rejointe par l’Espagne l’année suivante, entra en conflit direct avec l’Angleterre. Les opérations débutèrent sur mer, d’abord avec un premier succès pour la Marine française au large d’Ouessant. Un premier contingent partit pour l’Amérique en 1780, commandé par Rochambeau. Pour un ensemble de raisons tenant à l’attitude des Américains, il ne fut pas directement renforcé. Cependant l’amiral de Grasse reçut l’ordre d’appareiller avec sa flotte et quelques milliers d’hommes pour la mer des Antilles en avril 1781. Grâce au succès que l’amiral remporta sur la flotte anglaise dans la baie de Chesapeake, qui permit le débarquement de renforts, Rochambeau remporta aux côtés de l’armée de Washington, en octobre 1781, non loin de la baie, la bataille de Yorktown, tournant décisif de la campagne.

Dans cette guerre où l’atout maritime était essentiel, la France étendit la lutte à d’autres espaces géographiques, obligeant la flotte anglaise à se disperser. Suffren l’affronta ainsi à plusieurs reprises dans l’océan Indien. Cependant, à Saintes, dans la mer des Antilles, Grasse fut battu par les Anglais.

Las de cette guerre coûteuse, Londres engagea des négociations qui se conclurent par le traité de Paris du 3 septembre 1783. La France conservait le Sénégal, récupérait ses comptoirs des Indes et obtenait Dunkerque en pleine souveraineté. Elle ne poussa pas son avantage car elle ne souhaitait pas trop abaisser l’Angleterre qui venait de perdre le fleuron de son empire colonial. Un traité de commerce fut d’ailleurs signé en 1786.

Fidèle à sa ligne pacifique, qui n’excluait pas l’intervention si nécessaire, Louis XVI avait pour objectif le rétablissement d’un équilibre européen. Cependant la guerre d’indépendance américaine avait été ruineuse pour les finances du royaume sans compter la rupture qu’elle impliquait dans l’ordre politique avec l’accession d’un peuple à la souveraineté. Les conséquences furent immenses.

***

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Héritière de la Gaule antique, issue du partage de l’empire de Charlemagne, construite à partir d’un domaine royal dont les princes successifs ont élargi patiemment et résolument l’emprise, la France était devenue après huit siècles d’histoire et de multiples épreuves, la première parmi les puissances européennes. Sans cette position léguée par la monarchie, jamais les armées de la République nouvelle et de l’Empire n’auraient pu défier l’Europe, bousculer les pouvoirs en place et créer une fracture irréversible dans l’histoire politique du Continent.


[1] En vertu de la Bulle d’Or de 1356, l’Empereur était élu par un collège de sept princes allemands : les archevêques de Mayence, Trêves et Cologne, le roi de Bohême, le duc de Saxe, le comte palatin du Rhin, le margrave de Brandebourg. Au XVIIème siècle le collège fut élargi au duc de Bavière et au duc de Brunswick-Lunebourg (famille Hanovre). Au XVIIIème, la réunion sous un même prince du Palatin et de la Bavière entraîna la suppression d’un électorat.

[2] A la veille de sa mort survenue le 3 septembre 1658, Cromwell désigna son fils Richard comme successeur. Il démissionna le 25 mai 1659. Le Parlement offrit alors le trône à Charles Stuart (Charles II).

[3] Il s’agit des traités d’Etaples en 1492 avec Henri VII d’Angleterre, de Barcelone en 1493 avec Ferdinand II d’Aragon, et de Senlis en 1493 avec Maximilien de Habsbourg.

[4] La France signe avec la Confédération des treize cantons suisses la « paix perpétuelle de Fribourg », le 29 novembre 1516. Cette paix durera jusqu’en 1798 lorsque l’armée de la France révolutionnaire envahira la Confédération.   

[5] Précédant cette défaite, il faut observer la trahison du connétable de Bourbon qui passe au service de Charles Quint.

[6] De plus les fils de François 1er retenus en otage pour garantir l’application du traité de Madrid étaient libérés.

[7] Les troupes de la Ligue seront définitivement battus à Mühlberg, le 24 avril 1547 par l’armée impériale de Charles Quint. Pour autant, cette victoire militaire ne conjura pas la Réforme protestante qui s’imposa dans une partie de l’Allemagne.

[8] Voir Histoire de la diplomatie française – I. Du Moyen Age à l’Empire – Deuxième partie les Temps Modernes.

[9] Charles IX avait conclu en 1569 un nouveau traité de Capitulations avec Selim II.

[10] XIVe Colloque du Centre Méridional de Rencontres sur le XVIIe siècle (1984).  Voir aussi Jacques de Saint-Victor Les racines de la liberté : le débat français oublié, 1689-1789.

[11] Histoire de la diplomatie française I. Du Moyen Age à l’Empire – Editions Perrin.

[12] Histoire de la diplomatie française I. Du Moyen Age à l’Empire – Editions Perrin – Deuxième partie : Les Temps modernes par Lucien Bély.

[13] L’Europe des traités de Westphalie – Esprit de la diplomatie et diplomatie de l’esprit sous la direction de Lucien Bély, publié au PUF en 2000.

[14] La guerre de Dévolution (1667-1668) et le traité d’Aix-la-Chapelle ; la guerre de Hollande (1672-1678) et le traité de Nimègue ; la guerre de la ligue d’Augsbourg et le traité de Ryswick ; la guerre de Succession d’Espagne et le traité d’Utrecht).

[15] Par le traité de Montmartre du 6 février 1662 entre Louis XIV et Charles IV, duc de Lorraine, ce dernier abandonnait au roi de France sa succession en contrepartie de l’ouverture d’un droit de succession au trône de France pour la Maison de Lorraine. Le Parlement de Paris comme la cour souveraine de Lorraine ne ratifia pas le traité.

[16] L’homme qui l’incarnait au plus haut point, Turenne, fut tué à la bataille de Salzbach en 1675 face aux armées impériales conduites par son vieil adversaire Montecuccoli, l’un des plus grands capitaines du XVIIème siècle.

[17] Juridiquement, la procédure releva de l’institution de « chambres de réunions » dont la principale fut celle de Metz.

[18] A la mort de l’Electeur Palatin, Charles II, l’héritage revint à un neveu de l’Empereur : Philippe-Guillaume de Wittelsbach-Neubourg. Inquiet pour la sécurité des frontières du royaume, Louis XIV fit valoir les droits de sa belle-sœur, la duchesse d’Orléans, sœur de Charles II. (Voir Louis XIV- La succession palatine – Jean-Christian Petit-Fils – éditions Perrin).

[19] Histoire de la diplomatie française : I Du Moyen-Age à l’Empire – Deuxième partie : Les Temps Modernes.

[20] François Bluche – Louis XIV : chapitre XXVI – La succession d’Espagne

[21] Le 12 septembre 1703, Léopold 1er renonça pour lui et pour son fils aîné à la couronne d’Espagne mais réclama pour son fils cadet l’héritage de Charles II. Il fut reconnu dans ses prétentions par l’Angleterre et les Provinces-Unies.

[22] Jean-Christian Petit-Fils – Louis XIV – Chapitre XXV Les années tragiques.

[23] Parallèlement, le duc d’Orléans et le duc de Berry renoncèrent par des lettres patentes au Parlement de Paris à toute succession sur le trône d’Espagne (voir Jean-Christian Petit-Fils – Louis XIV – Chapitre XXVI : Vers la paix).

[24] Michel Antoine (Louis XV –Editions Fayard) attribue ce renoncement à des considérations morales : « On sait combien, pendant sa minorité, ses éducateurs lui avaient proposé pour modèle le règne de Saint Louis, insistant particulièrement sur le scrupule de ce pieux ancêtre à ne jamais consentir à un agrandissement injuste de ses états. »

[25] Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor.

[26] Jean-Christian Petit-Fils Louis XVI (éditions Perrin) Chapitre 12 : La politique étrangère et les débuts de la guerre d’Amérique.

[27] Voir Hervé Couteau-Bégarie : Traité de stratégie – éditions Economica.

[28] Idem note 29

[29] La maison Rodrigue, Hortalez et Cie.


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