
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Au moment où la guerre ouverte entre Israël et l’Iran s’intensifie, une série de signaux politiques en provenance d’Asie révèle un réalignement discret mais significatif. Si aucune alliance formelle n’a été établie, plusieurs pays asiatiques à majorité musulmane – ou dotés de gouvernements hostiles à l’Occident – expriment une solidarité de plus en plus explicite à l’égard de Téhéran. Une solidarité qui se déploie à différents niveaux : diplomatique, idéologique, rhétorique, et potentiellement militaire.
La Chine : Soutien stratégique sans implication directe
Pékin illustre à la perfection ce positionnement hybride. Officiellement, la Chine s’est limitée à une déclaration du président Xi Jinping exprimant son inquiétude face à « l’aggravation soudaine des tensions provoquées par l’opération militaire israélienne contre l’Iran ». En filigrane, un appel à la retenue, fondé sur les principes du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale. Mais c’est le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Guo Jiakun, qui a pris une posture beaucoup plus tranchée : il a accusé ouvertement Donald Trump d’envenimer la situation, dénonçant un comportement provocateur de la part de Washington.
Ce double discours révèle la stratégie de Pékin : apparaître comme une puissance raisonnable, tout en soutenant, dans les faits, l’un de ses partenaires géopolitiques clés – l’Iran, membre des BRICS, de l’Organisation de coopération de Shanghai, et acteur essentiel de la Belt and Road Initiative. Pour la Chine, cette crise présente un intérêt indirect : si elle se prolonge, les États-Unis seront contraints de détourner leur attention de Taïwan, de la mer de Chine méridionale ou de la péninsule coréenne.
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Le Pakistan : Arsenal nucléaire et rhétorique de guerre sainte
Beaucoup plus explicite est le positionnement du Pakistan. Selon Mohsen Rezaei, haut gradé du Corps des Gardiens de la Révolution islamique et membre du Conseil de sécurité nationale iranien, Islamabad aurait affirmé à Téhéran sa volonté de répondre militairement en cas d’usage d’armes nucléaires par Israël. « Le Pakistan nous a dit que si Israël utilise l’arme nucléaire, il le frappera lui aussi avec des armes nucléaires », a-t-il déclaré à la télévision iranienne.
Cette déclaration marque une rupture : pour la première fois, une puissance nucléaire du monde musulman évoque ouvertement la possibilité d’une riposte atomique en défense d’un autre État musulman. Le ministre pakistanais de la Défense, Khawaja Asif, a par ailleurs exhorté les nations musulmanes à s’unir face à Israël, en soulignant que l’agression contre Téhéran visait en réalité l’ensemble du monde musulman, du Yémen à la Palestine. Cette rhétorique panislamique s’accompagne d’une volonté manifeste de repositionner le Pakistan comme leader de la solidarité islamique.
L’Asie du Sud-Est : Hostilité historique à Israël, mais prudence stratégique
Du côté de l’Indonésie et de la Malaisie – les deux nations musulmanes les plus peuplées au monde – le soutien à la cause palestinienne est ancien, constant, et structurant dans le discours diplomatique. Aucun de ces États ne reconnaît Israël, et tous deux ont condamné fermement les attaques contre l’Iran. Toutefois, les élites politiques de Jakarta et Kuala Lumpur restent prudentes : leur soutien reste verbal et non opérationnel. La ligne rouge serait le déclenchement d’une guerre perçue comme une croisade contre l’islam mondial – scénario dans lequel l’opinion publique pourrait basculer massivement en faveur de l’Iran.
Ce scénario n’est pas improbable. Si l’Iran réussit à présenter sa confrontation avec Tel-Aviv comme une guerre défensive de l’islam contre l’agression occidentale, il pourrait fédérer de larges pans de la société civile en Asie du Sud-Est, y compris au Bangladesh et au Sri Lanka, malgré le rôle géopolitique marginal de ces derniers.
La Corée du Nord : L’effet miroir d’une dissuasion nucléaire
Autre acteur silencieux mais stratégique : la Corée du Nord. Pour Kim Jong-un, les frappes contre l’Iran ne font que confirmer une doctrine déjà bien ancrée : un régime qui possède l’arme nucléaire ne sera jamais attaqué frontalement. Certaines rumeurs relayées sur les réseaux sociaux évoquent un soutien militaire discret de Pyongyang à Téhéran – notamment sous forme de livraisons d’armements ou de missiles. Si rien n’a encore été confirmé, la coopération technico-militaire entre les deux pays, dans le passé, est bien documentée. Et rien n’empêcherait Kim d’utiliser l’Iran comme levier indirect pour affaiblir l’Occident et renforcer ses propres alliances.
L’Inde soutient l’État hébreu : Les ennemis de nos amis sont nos ennemis
L’Inde, fidèle à sa diplomatie d’équilibre mais de plus en plus décomplexée, affiche un soutien sans faille à Israël dans le cadre des tensions croissantes avec l’Iran. Historiquement proche de la cause palestinienne durant la Guerre froide, New Delhi a depuis opéré un basculement stratégique, en particulier sous le gouvernement Modi, nouant avec Tel-Aviv un partenariat dense en matière de défense, de cybersécurité et de renseignement. Face à la menace iranienne perçue comme déstabilisatrice, l’Inde privilégie la coopération sécuritaire avec Israël, qu’elle considère comme un allié fiable dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Ce positionnement s’explique aussi par le soutien du Pakistan (son ennemi juré !) à Téhéran et aussi par des considérations énergétiques : en diversifiant ses fournisseurs pour réduire sa dépendance au pétrole iranien, New Delhi s’émancipe de l’influence de Téhéran. Par ailleurs, l’Inde voit d’un mauvais œil la présence croissante de la Chine en Iran. Son soutien à Israël s’inscrit donc dans une lecture géopolitique plus large, où s’entremêlent rivalités régionales, logique de puissance et ambitions technologiques.
Vers une coalition implicite : Une géopolitique des convergences ?
Ce front asiatique en formation ne répond pas à une logique d’alliance formelle, mais à une convergence d’intérêts. Chaque pays impliqué agit en fonction de ses intérêts spécifiques : Pékin pour affaiblir l’architecture occidentale de sécurité en Asie ; Islamabad pour renforcer son leadership dans le monde musulman ; Jakarta et Kuala Lumpur pour préserver leur légitimité populaire ; Pyongyang pour renforcer sa posture dissuasive.
Téhéran, dans ce contexte, n’a même pas besoin de chercher activement des alliés : ce sont les lignes de faille du système international – l’anti-impérialisme, le rejet de l’hégémonie américaine, la solidarité islamique – qui attirent à lui des soutiens inattendus. L’Asie ne va pas faire la guerre pour l’Iran. Mais elle pourrait, dans les faits, lui offrir un bouclier politique, idéologique et logistique d’une importance stratégique capitale.
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