
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.
Dans un contexte de montée des inégalités économiques et de concentration accrue du pouvoir financier, le rôle des grands fonds d’investissement – les célèbres Big Three : BlackRock, Vanguard et State Street – représente une transformation majeure de l’économie mondiale. Leur présence omniprésente et leur contrôle sans précédent sur les plus grandes entreprises mondiales incarnent un modèle de capitalisme qui s’auto-régule, se renforce et se perpétue, dans un cercle apparemment inarrêtable.
L’expansion silencieuse : Le contrôle du capital mondial
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. BlackRock gère 11 500 milliards de dollars d’actifs, une somme supérieure au PIB combiné de l’Allemagne, du Japon et du Royaume-Uni. Vanguard suit avec 9 900 milliards, tandis que State Street contrôle 4 700 milliards. Ces trois fonds, à eux seuls, détiennent des participations significatives dans 90 % des 500 plus grandes entreprises mondiales composant l’indice S&P 500, contrôlant entre 30 % et 40 % de leur capital.
Leur influence s’étend à presque tous les secteurs stratégiques : énergie, pharmacie, technologie, logistique, transport, médias. Par exemple, BlackRock et Vanguard figurent parmi les principaux actionnaires de géants tels qu’Apple, Microsoft, Amazon, Google, ExxonMobil, Pfizer et Coca-Cola. Ce modèle de participations croisées, dans lequel les mêmes fonds possèdent des parts significatives dans des entreprises concurrentes, érode la concurrence et crée un réseau de pouvoir invisible, mais difficilement régulable.
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Les interconnexions internes : Le capital qui s’auto-perpétue
Un aspect particulièrement frappant du modèle des Big Three est leur structure autoréférentielle. Les fonds ne se contentent pas de posséder les plus grandes entreprises mondiales, ils possèdent également des parts significatives les uns dans les autres. Vanguard détient 12,75 % de State Street et 8,59 % de BlackRock, tandis que BlackRock détient 14,2 % de Geode Capital et 8,96 % de State Street. Ce réseau de participations croisées forme un système où le capital s’auto-alimente, consolidant encore davantage son contrôle sur tous les secteurs économiques.
Un exemple de cette dynamique peut être observé dans leur influence sur le secteur des agences de notation. BlackRock, Vanguard et State Street détiennent des parts importantes dans Moody’s et S&P Global, les principales agences qui évaluent les entreprises dans lesquelles ces mêmes fonds investissent. Cela crée une situation de conflit d’intérêts structurel, où les fonds influencent indirectement les marchés qu’ils devraient surveiller.
La technologie comme arme : L’automatisation du capital
La gestion des investissements des Big Three repose de plus en plus sur des systèmes technologiques avancés. BlackRock, par exemple, utilise son logiciel Aladdin (Asset, Liability and Debt and Derivative Investment Network), une plateforme qui analyse les marchés mondiaux à l’aide d’algorithmes sophistiqués et de techniques de simulation pour optimiser les décisions d’investissement.
Cette automatisation réduit les coûts de gestion, rendant leurs fonds plus compétitifs par rapport aux fonds actifs traditionnels. Cependant, cette dépendance à l’égard des algorithmes soulève des questions sur l’impact de l’intelligence artificielle dans la finance. Si une erreur humaine peut être corrigée, une erreur algorithmique dans un système aussi interconnecté pourrait provoquer des effets en chaîne imprévisibles et difficiles à maîtriser.
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Déglobalisation et tensions géopolitiques
Ces dernières années, le contexte géopolitique mondial a remis en question l’expansion apparemment inarrêtable des Big Three. La tendance croissante à la déglobalisation, amorcée par le Brexit et accentuée par les politiques protectionnistes de Donald Trump, a créé une fracture entre le modèle globalisé des fonds et les besoins politiques nationaux.
Trump a critiqué à plusieurs reprises les Big Three, les accusant de promouvoir des agendas ESG (Environmental, Social, Governance) au détriment de l’industrie américaine. En 2024, plusieurs États républicains ont retiré des milliards de dollars des fonds de BlackRock et Vanguard, un mouvement sans précédent. En réponse, les Big Three ont rapidement abandonné de nombreuses initiatives ESG, marquant un repli stratégique face aux pressions politiques.
Le rôle de l’Italie dans ce système mondial
L’Italie n’échappe pas à cette influence mondiale. Les Big Three détiennent des participations significatives dans des entreprises stratégiques comme Snam, Terna, Leonardo et Poste Italiane. De plus, le système de fonds de pension italien, qui gère plus de 170 milliards d’euros, constitue l’une des principales sources de capital pour les fonds américains. Ce lien crée une dépendance structurelle qui pourrait avoir des implications profondes pour l’autonomie économique du pays.
En Italie, les Big Three ont également pénétré le secteur des multi-utilities, investissant dans des sociétés comme A2A, Hera, Iren et Acea, qui fournissent des services essentiels tels que l’eau, l’énergie et la gestion des déchets. Cette pénétration dans les secteurs clés de l’économie soulève des questions sur l’influence du capital étranger dans la gouvernance des infrastructures stratégiques.
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Un défi pour la démocratie économique
Le pouvoir des Big Three représente un défi pour l’avenir de la démocratie économique. Leur influence ne se limite pas aux marchés, mais s’étend à la politique, à la société et même à l’environnement. La concentration croissante de la richesse et du pouvoir financier entre les mains de quelques fonds risque d’aggraver les inégalités économiques et de miner la capacité des États à réguler efficacement les marchés.
La question fondamentale n’est pas seulement de savoir si les Big Three sont les nouveaux maîtres du monde, mais comment contrer leur pouvoir pour garantir un équilibre entre efficacité financière et justice sociale. Dans un monde de plus en plus interconnecté, leur rôle nécessite une réglementation plus stricte et une surveillance constante, afin que le capital ne devienne pas un moteur immobile échappant au contrôle des institutions démocratiques.
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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