HISTOIRE – La bataille de Yarmouk, quand l’Islam s’impose au Levant

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Représentation artistique de la bataille de Yarmouk (636) : Khalid ibn al-Walid, l’‘Épée d’Allah’, affronte un général byzantin dans un duel symbolique, illustrant l’affrontement décisif entre le califat Rashidun et l’Empire byzantin pour la conquête du Levant.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Alexandre Aoun

Certainement l’une des batailles les plus importantes quelques années après l’avènement d’une nouvelle religion en Arabie. La bataille de Yarmouk, livrée du 15 au 20 août 636 dans la vallée du même nom, à la croisée des actuelles Syrie et Jordanie, constitue un jalon décisif dans l’expansion de l’Islam et la conquête du Levant. Cette victoire éclatante des forces musulmanes du califat Rashidun, sous l’égide du calife Omar ibn al-Khattab, contre l’Empire byzantin dirigé par l’empereur Héraclius, ouvre la voie à la domination musulmane de la Syrie et de la Palestine. 

Pour appréhender l’ampleur de cet événement, il convient d’explorer l’expansion fulgurante de l’Islam sous la direction stratégique de son général Khalid ibn al-Walid, surnommé l’« Épée d’Allah », et la quête méthodique du Levant.

L’Islam émerge au début du VIIe siècle dans la péninsule arabique, lorsque Mohamed, un marchand de la tribu des Quraysh à La Mecque, reçoit ses premières révélations divines en 610. En 622, l’Hégire, sa migration vers Médine, marque l’édification d’une communauté unifiée par la foi, fondement du califat, mais avant tout le passage du religieux vers le politique. À sa mort en 632, Abou Bakr, premier calife Rashidun (632-634), successeur de Mohamed, consolide l’Arabie par les guerres de la Ridda, réprimant les révoltes tribales. La dynastie des Rashidun, composée des quatre premiers califes « bien guidés » (632-661), instaure un régime théocratique basé sur la justice et la discipline.

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Un général hors-pair 

Sous Omar ibn al-Khattab, deuxième calife, le califat entreprend une expansion fulgurante, défiant l’Empire byzantin, affaibli par des guerres contre les Perses, et l’Empire sassanide, dynastie perse (224-651) épuisée par des conflits internes et externes. Ces empires vacillants offrent une opportunité stratégique aux musulmans. Khalid ibn al-Walid, initialement adversaire de Mohamed, se convertit en 629 et devient un stratège d’exception. Lors des guerres de la Ridda, il mate les tribus rebelles avec une rigueur implacable, forgeant une armée unie. En 633, envoyé en Irak contre les Sassanides, il triomphe à la bataille de la rivière, exploitant la mobilité de sa cavalerie légère. A Walaja (633) en Mésopotamie, il feint une retraite pour attirer les Perses dans un piège, les encerclant avec une double attaque. En 634, Omar le redéploye en Syrie, un territoire byzantin riche en ressources et symboles. 

Khalid, par ses tactiques de harcèlement et sa coordination des tribus bédouines, s’impose comme un maître de la guerre mobile, capable d’anticiper et d’exploiter les faiblesses ennemies. La conquête du Levant s’inscrit dans une stratégie méthodique. Après les victoires d’Ajnadayn (634) proche de Bethléem, où les musulmans écrasent une armée byzantine, et de Fahl (635) en Jordanie, ils affrontent une résistance renforcée. Héraclius, galvanisé par la reconquête de la Vraie Croix en 630 dans la plaine de Ninive face aux Sassanides, mobilise une armée imposante, estimée entre 40 000 et 100 000 hommes, mêlant Byzantins, Arméniens et Arabes chrétiens ghassanides, une tribu alliée de Byzance depuis le Ve siècle. Les musulmans, avec 20 000 à 40 000 combattants, sont en infériorité numérique, mais leur cohésion, leur ferveur religieuse et la discipline imposée par Omar compensent ce désavantage. Ce dernier confie à Khalid le commandement tactique à Yarmouk, bien qu’Abu Ubayda reste nominalement en charge, témoignant de la confiance en son génie stratégique.

Des femmes musulmanes prêtes à combattre

La bataille de Yarmouk, étalée sur six jours, incarne un chef-d’œuvre militaire. Les Byzantins, sous Vahan, général arménien expérimenté, s’établissent près de la rivière Yarmouk, sur un terrain accidenté offrant un avantage défensif. Khalid, conscient de l’enjeu, adopte une stratégie patiente. Les premiers jours, les musulmans résistent aux assauts byzantins, infligeant des pertes par des contre-attaques ciblées. Lors du deuxième jour, Khalid envoya une unité de cavalerie commandée par Zarrar ibn al-Azwar pour capturer un officier byzantin, semant la panique dans leurs rangs. Le 18 août, une tempête de sable aveugle les Byzantins, permettant à Khalid de lancer une offensive décisive. Il exécute un double enveloppement, coupant les lignes de retraite vers le ravin de Wadi al-Raqqad. Une autre anecdote souligne le rôle des femmes musulmanes, comme Hind bint Utba, qui ralliaient les combattants en chantant des poèmes guerriers, empêchant toute retraite. Selon certains écrits, elles se tenaient prêtes à défendre les garnisons en cas d’offensive ennemie. Le 20 août, les Byzantins, piégés, subissent un massacre, Vahan est tué, et leur armée est annihilée, avec des pertes estimées à 40 % de leurs effectifs contre 4 000 morts musulmans.

Le génie de Khalid réside dans sa capacité à fédérer des tribus disparates, à anticiper les mouvements ennemis et à exploiter le terrain. Sa tactique d’enveloppement, inspirée des campagnes d’Hannibal à Cannes, désoriente les Byzantins, tandis que son charisme galvanise ses troupes. Cependant, en 638, Omar, craignant son influence croissante, le destitue, une décision controversée qui n’efface pas son legs. Khalid, relégué à des rôles secondaires, meurt en 642 à Homs, laissant une réputation légendaire.

Le siège de Gaza et le rôle de la communauté juive locale

Yarmouk ouvre la voie à la conquête de la Syrie. Damas est tombée en 635, suivie d’Antioche et d’Alep. Jérusalem, assiégée dès 636, se rend en 637 après des négociations menées par Omar, qui garantit la sécurité des chrétiens. La prise de Gaza, en 637, s’inscrit dans cette dynamique. Dirigée par ‘Amr ibn al-‘As, le siège de Gaza débute en 634 contre une garnison byzantine soutenue par une communauté juive influente. Les Juifs de Gaza, présents depuis l’Antiquité et prospérant sous la domination romaine puis byzantine, formaient une population économiquement active, notamment dans le commerce et l’agriculture. Ils possédaient une synagogue notable, décrite dans des textes talmudiques, et jouaient un rôle dans la défense de la ville, voyant dans les Byzantins un rempart contre l’invasion musulmane. Le siège, qui dure trois ans, repose sur une guerre d’usure, les musulmans coupant les lignes de ravitaillement. 

En 637, épuisée, la garnison se rend, influencée par les habitants arabes locaux, plus enclins à accepter la domination musulmane. Les Juifs, comme les chrétiens, obtiennent le statut de « dhimmis », leur garantissant protection en échange d’une taxe (jizya), facilitant leur intégration dans la société islamique émergente. 

Yarmouk et Gaza illustrent l’élan irrésistible de l’expansion islamique sous les Rashidun, dynastie des quatre premiers califes, dont l’unité et la discipline contrastent avec les empires byzantin et sassanide déclinants. Ces victoires redessinent le Levant. Cette bataille, par son ampleur stratégique, demeure une référence dans l’histoire militaire, incarnant la rapidité et l’efficacité des conquêtes musulmanes, tandis que Gaza consolide leur emprise sur la Palestine méridionale, marquant l’ascension de l’Islam comme nouvel hégémon régional. 

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