ANALYSE – Quand l’Afrique échappe à l’Europe…

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Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Olivier d’Auzon

L’Afrique n’est plus ce qu’elle était pour l’Europe. La vieille Europe qui croyait encore pouvoir dicter ses volontés au continent africain se trouve aujourd’hui désemparée, sur la défensive, presque spectatrice d’un grand jeu où elle ne joue plus que les seconds rôles. 

Ce grand jeu, c’est celui de la compétition pour le contrôle des ressources stratégiques et de l’influence géopolitique, un jeu auquel de nouveaux acteurs, plus flexibles, plus rapides et surtout plus pragmatiques, ont pris le contrôle.

Une époque révolue : L’illusion du soft power européen

L’Europe, après la décolonisation, avait cru pouvoir imposer son modèle de gouvernance sur l’Afrique, promouvant les valeurs des droits humains, de la démocratie et de la bonne gouvernance. 

Dans les années 90 et 2000, elle s’est retrouvée seule sur cette scène, occupée à financer des projets de développement, à offrir une aide humanitaire et à déployer des missions de stabilisation. 

L’aide européenne semblait la plus généreuse, la plus morale, fondée sur un cadre normatif où la démocratie et le respect des droits humains étaient supposés être des conditions sine qua non pour le développement.

Mais ce modèle s’effondre sous les coups du réalisme géopolitique. Le système d’aide conditionnelle a de plus en plus été perçu comme une forme de néocolonialisme dissimulé, d’autant plus que les puissances émergentes, comme la Chine et la Russie, n’hésitent plus à recourir à des stratégies moins idéologiques mais plus pragmatiques. Pour eux, le critère principal n’est pas la transparence politique ou la démocratie, mais la rentabilité immédiate : la construction d’infrastructures, l’accès aux matières premières, le soutien à des régimes non démocratiques qui assurent une stabilité favorable à leurs investissements.

Les nouvelles puissances : La Chine et la Russie, les nouveaux maîtres du jeu

La Chine, avec sa politique de la route de la soie, a su établir des partenariats stratégiques avec de nombreux pays africains. En échange d’infrastructures colossales, de prêts et de partenariats économiques, elle a noué des relations d’une flexibilité redoutable. 

La Russie, quant à elle, envoie des mercenaires et offre des contrats de sécurité à des régimes autoritaires tout en s’emparant des ressources naturelles du continent. Ces puissances ne sont pas intéressées par des réformes politiques ou par la mise en place d’une gouvernance démocratique. Ce qu’elles veulent, ce sont des contrats directs, des échanges commerciaux, des alliances stratégiques qui renforcent leur position géopolitique, notamment face à l’Occident. Et elles l’obtiennent.

Pendant ce temps, l’Europe, engluée dans ses conditionnalités – démocratie, droits humains, bonne gouvernance – n’arrive plus à faire face à cette offensive. Ses propositions d’aides, de partenariats ou de financements sont souvent noyées sous des exigences bureaucratiques et des processus interminables. 

Leurs rivaux offrent des ressources sans condition, ce que l’Europe, sous l’emprise de son carcan normatif, ne peut égaler.

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L’Afrique se réveille : La quête de souveraineté et d’indépendance économique

Ce qui se passe actuellement en Afrique n’est pas qu’une simple revanche contre les anciennes puissances coloniales. 

Il s’agit d’une prise de conscience stratégique : le continent, riche de ses matières premières et de ses jeunes populations, veut désormais prendre en main son destin économique. Finie la période où l’on se contentait de vendre ses ressources brutes contre des investissements qui ne bénéficiaient qu’aux anciennes puissances. Aujourd’hui, les Africains exigent un modèle qui passe par l’industrialisation. La transformation locale des ressources, le transfert de technologies, la création d’emplois : des conditions que l’Europe peine à remplir.

Prenons les minéraux stratégiques : cobalt, lithium, terres rares. Ces minerais sont essentiels à la transition énergétique européenne et aux nouvelles technologies. Mais l’Europe est largement dépendante des importations africaines, notamment du Congo pour le cobalt ou de Zimbabwe pour le lithium. 

La Chine, elle, n’hésite pas à construire des infrastructures lourdes pour accéder directement à ces ressources, sans passer par de longs processus bureaucratiques ou conditionner ses investissements à des réformes politiques. Résultat : l’Europe perd le contrôle des chaînes d’approvisionnement essentielles à son avenir économique.

L’illusion de la gestion migratoire : La sécurité au détriment des droits

La gestion de la migration, qui est devenue l’un des principaux leviers des relations entre l’Union européenne et l’Afrique, montre une autre facette de l’incohérence européenne. Après la crise migratoire de 2015, l’Europe a externalisé la gestion de ses frontières aux pays africains, en échange d’argent et de soutien pour contrôler les flux migratoires. La Libye, le Maroc, la Tunisie, sont devenus des gardiens des portes de l’Europe…

L’effondrement de l’influence française : La fin du pré carré africain

La France, autrefois perçue comme la grande puissance protectrice de l’Afrique, a perdu son aura. La déroute française au Sahel, symbolisée par la fin de l’opération Barkhane et le retrait des troupes françaises, marque une rupture historique. Le désaveu populaire contre l’implication française, perçue comme néocolonialiste, a accentué ce déclin. La guerre contre le terrorisme, mené par l’armée française dans le Sahel, s’est muée en échec stratégique : les interventions françaises ont non seulement échoué à stabiliser la région mais ont aussi provoqué l’effondrement du soft power de la France.

L’Europe et la France, fragilisées par leurs excès de prudence et leurs hésitations, ne sont plus les acteurs incontournables de la scène africaine. La Chine, la Russie, et d’autres acteurs non européens, avec une vision claire et directe, ont su s’imposer.

L’Europe doit se réinventer : Une urgence géopolitique

Face à ce bouleversement, l’Europe doit se réinventer. Fini le temps où elle pouvait prétendre imposer son modèle sans contrepartie. Il est désormais essentiel de trouver un juste milieu entre réalisme et idéal : il ne s’agit plus de plaider la cause des droits humains avant tout, mais de développer des partenariats réels, fondés sur des échanges économiques et des soutiens réciproques.

Si l’Europe veut encore jouer un rôle en Afrique, elle doit se rendre à l’évidence : ses principes doivent être accompagnés de concrétisation matérielle. Investir dans des infrastructures, dans la formation, dans la transformation locale des ressources, dans la sécurisation de ses approvisionnements énergétiques. Ce n’est plus la moralisation des rapports qui prime, mais l’efficacité et la réciprocité des bénéfices. La compétition est trop rude : si l’Europe ne s’adapte pas rapidement à ces nouvelles règles du jeu, elle sera laissée pour compte.

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