
Par Olivier d’Auzon
Trois jours après l’élection présidentielle du 29 octobre, la Tanzanie s’enfonce dans une répression sanglante qui révèle la véritable nature du régime de Samia Suluhu Hassan.
L’Afrique de l’Est, si prompte à vanter ses “modèles de stabilité”, découvre une autre réalité : celle d’une démocratie de façade qui se délite dans l’indifférence internationale.
Un scrutin verrouillé
Les urnes n’ont pas encore livré tous leurs résultats officiels, mais l’issue du vote ne fait guère de doute.
Samia Suluhu Hassan, au pouvoir depuis la mort de John Magufuli en 2021, devrait être reconduite à la tête du pays.
La victoire du parti au pouvoir, le Chama Cha Mapinduzi (CCM), ne s’explique pas par un élan populaire, mais par l’absence de véritable compétition.
Les deux principaux opposants – Tundu Lissu, emprisonné pour “trahison”, et Luhaga Mpina du ACT-Wazalendo, écarté pour des motifs juridiques douteux – avaient été disqualifiés avant même le scrutin.
Ce verrouillage politique, désormais institutionnalisé, a transformé la Tanzanie en laboratoire de la démocratie neutralisée : on y vote, mais sans alternative réelle.
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Le prix du pouvoir : La peur et le sang
Depuis mercredi, les grandes villes – Dar es Salaam, Mwanza, Arusha, Dodoma – s’embrasent.
La jeunesse, privée de débouché politique, descend dans la rue pour dénoncer la mascarade électorale. La réponse du pouvoir a été immédiate : gaz lacrymogènes, tirs à balles réelles, arrestations massives.
Selon le parti d’opposition Chadema, près de 700 manifestants auraient été tués en trois jours.
Une source diplomatique citée par la BBC évoque au moins 500 morts. Les morgues de Dar es Salaam sont pleines, les hôpitaux débordés. Mais l’ampleur du drame demeure invisible : le gouvernement a coupé Internet sur tout le territoire, bloqué les réseaux sociaux et réduit les médias au silence.
Dans un discours glaçant, le chef de l’armée, le général Jacob John Mkunda, a déclaré que “les manifestants sont des criminels” et que “la situation est sous contrôle”.
Un contrôle qui s’exerce par la peur.
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Une démocratie sous respirateur
Ironie tragique : Samia Suluhu Hassan avait été saluée à son arrivée au pouvoir comme une figure de rupture, plus ouverte que son prédécesseur Magufuli, dont elle avait pourtant été la vice-présidente.
Son ton mesuré, sa politique de dialogue avec les bailleurs, sa volonté affichée de moderniser le pays avaient séduit les chancelleries occidentales.
Quatre ans plus tard, l’illusion s’est dissipée.
Les arrestations arbitraires, les disparitions, la criminalisation des partis d’opposition et la surveillance numérique ont ramené la Tanzanie au rang des régimes autoritaires assumés.
Sur l’archipel de Zanzibar, où le président Hussein Mwinyi a été réélu avec 80 % des voix, l’opposition dénonce une fraude “massive”. Les observateurs internationaux, eux, parlent d’une participation historiquement basse et d’un climat de peur généralisé.
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Le dilemme occidental : Stabilité ou démocratie ?
Pour Paris comme pour Bruxelles, le cas tanzanien est embarrassant.
Faut-il dénoncer la répression d’un régime autoritaire ou préserver la coopération avec un partenaire jugé “stable” dans une région fragile ?
Ce dilemme est d’autant plus aigu que la Tanzanie devient un carrefour stratégique : le port de Dar es Salaam, en partie géré par DP World, est essentiel aux flux commerciaux d’Afrique australe et aux ambitions maritimes de la Chine.
Dans cette partie d’échecs géopolitique, les Européens jouent petits bras.
Ils préfèrent la prudence diplomatique à la cohérence morale.
Mais cette prudence a un coût : elle alimente, chez les jeunes Tanzaniens, un sentiment d’abandon et de trahison.
L’Europe, censée défendre les droits et la liberté, soutient désormais un régime qui tire sur sa population.
Le risque d’une contagion régionale
La répression tanzanienne n’est pas un épisode isolé.
Elle s’inscrit dans un mouvement plus large de recul démocratique en Afrique de l’Est, où les dirigeants – de Nairobi à Kampala – renforcent leurs appareils sécuritaires au nom de la stabilité.
Mais cette stabilité imposée par la force est un mirage : elle prépare les crises de demain.
La Tanzanie, longtemps considérée comme un havre de paix dans une région agitée, pourrait bien basculer dans un cycle de contestation durable.
L’économie, déjà affaiblie par les restrictions et la défiance, risque d’en payer le prix fort.
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Le silence, complice du déclin
Face à la violence, le silence européen résonne comme une défaite morale.
L’Union européenne et la France, promptes à condamner ailleurs, observent ici une prudente réserve.
Mais le prix de cette indifférence sera lourd : l’effacement de l’influence occidentale au profit d’une Chine sans états d’âme.
Comme le disait Maxime Chattam : “Ce n’est pas le mal qui triomphe, c’est l’indifférence qui le laisse faire.”
En Tanzanie, le sang a déjà coulé. Le silence, lui, commence à tacher.
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