
En janvier 2011, la Suisse cherche à améliorer son image afin de ne plus apparaître comme le coffre-fort des dictateurs de la planète. A la chute du régime du président Zine El-Abdine Ben Ali, le parquet fédéral ouvre plusieurs procédures pénales et gèle les comptes bancaires appartenant au président tunisien déchu et à son clan. Soit environ 60 millions de francs suisses (65 millions d’euros). Cette année, Berne devait restituer 5 millions de francs à la Tunisie, mais… Tunis vient de s’y opposer.
Par Ian Hamel
Cette démarche incompréhensible de la part de la justice tunisienne n’a pas (encore) été ébruitée. Elle n’a donc pas fait la une de la presse tunisienne (du moins si la censure avait autorisé la publication de cette information). Cette révélation risquait de dégrader encore davantage l’image du régime, même s’il n’y a pas d’élément démontrant l’intervention directe du président Kaïs Saïed dans cette décision absurde. En 2011 déjà, les Tunisiens s’étaient étonnés de la faiblesse des fonds séquestrés, alors que beaucoup plus d’argent avait transité par la place financière helvétique (autour de 320 millions de francs suisses, soit 350 millions d’euros). C’est oublier que d’un clic, le contenu d’un compte peut être viré dans un autre paradis fiscal, avant même que la justice n’intervienne.
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Le gel ne concernait pas que l’ancien président, mais aussi treize autres personnes, dont sa deuxième épouse Leïla Trabelsi, et son beau-frère Belhassen Trabelsi. Nouvelle déception de l’autre côté de la Méditerranée : au fil des années, la restitution des avoirs bloqués n’a cessé d’être retardée en raison de la multiplication des procédures judiciaires et des recours déposés par les avocats des personnes concernées. Quatorze ans plus tard, Tunis n’a récupéré que 3,5 à 4 millions d’euros. Toutefois, les torts ne viennent pas tous de Berne. Pour restituer des comptes, il faut démontrer qu’il y a eu des actes de blanchiment et (ou) de corruption au préjudice du pays. Cela nécessite des jugements définitifs de la justice tunisienne, les délits n’ayant pas été commis en Suisse. Il faut se souvenir que la République démocratique du Congo (ex Zaïre) n’a jamais pu récupérer les avoirs de l’ex-président Mobutu Sese Seko en Suisse, ce dernier n’ayant jamais été jugé dans son pays, et donc reconnu coupable.
Les millions de Belhassen Trabelsi
Mais cette année, l’opposition ne vient pas de l’entourage de Ben Ali, mais de la justice tunisienne. Le 11 mars 2025, le Ministère public de la Confédération (MPC) avait bien classé l’enquête pénale. 5 millions de francs (5,4 millions d’euros), bloqués dans une banque genevoise, devaient être restitués à la Tunisie. Mais patatras, suite à un appel, le Tribunal pénal fédéral (TPF), sans statuer sur le fond, annule l’ordonnance de classement et la confiscation des 5 millions en raison d’une opposition de la République de Tunisie elle-même. Le site suisse Gotham City, qui traite de l’actualité des affaires par les sources judiciaires, révèle que « l’État nord-africain estime que le MPC a violé son droit d’être entendu en ne lui notifiant pas l’avis de prochaine clôture avant de lui communiquer l’ordonnance de classement » (1) ! Comment pouvait-il le faire ? Le parquet estimant que la Tunisie n’était plus représentée dans la procédure depuis le mois d’avril 2018…
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Bref, le recours de la Tunisie a été malgré tout accepté, et l’affaire est donc renvoyée au Ministère public de la Confédération, où elle risque de prendre la poussière pendant de nombreuses années. C’est apparemment la première fois qu’un pays refuse de récupérer de l’argent. Démarche d’autant plus incompréhensible que la Tunisie connaît des fins de mois difficiles. Mais à qui appartiennent ces 5 millions de francs suisses, qui vont rester dans un coffre au bord du lac Léman ? Le site Gotham City émet l’hypothèse qu’ils pourraient appartenir à Belhassen Trabelsi. Ce dernier serait le détenteur de la plus grande part des fonds tunisiens bloqués en Suisse, soit environ 37 millions de francs suisses (40 millions d’euros). Le beau-frère de l’ancien président Ben Ali est défendu par l’avocat genevois Jean-Marc Carnicé. Or celui-ci assistait Antonia Mottironi, l’avocate de la Tunisie, au Tribunal pénal fédéral. Précisons que le TPF ne communique pas les noms des personnes mises en cause.
Pure coïncidence, La Tribune de Genève révélait le 30 octobre que si la Suisse avait confisqué près d’un milliard de francs depuis 2011 provenant d’affaires de corruption, en revanche, les pays sinistrés ne recevaient que rarement des remboursements. La quasi-totalité, voire la totalité, de l’argent profitait aux caisses fédérales (2).
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- « La Tunisie s’oppose à la restitution de 5 millions à… la Tunisie », Gotham City, 15 octobre 2025
- Konrad Staehelin, « La Suisse empoche des millions issus de pots-de-vin étrangers », La Tribune de Genève, 30 octobre 2025.
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