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ANALYSE – Mexique, la justice à l’épreuve des urnes : Démocratie ou fin de l’État de droit ?

Drapeau Mexicain et en fond paysage local
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe GaglianoPrésident du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

Un vent de changement, ou peut-être une tempête, souffle sur le Mexique. Le 11 juin 2025, le pays s’apprête à écrire une page inédite de son histoire avec une réforme judiciaire sans précédent dans le monde moderne : chaque juge fédéral, des neuf membres de la Cour suprême aux 850 magistrats fédéraux, en passant par des milliers de juges des tribunaux locaux, sera élu au suffrage universel. 

Un second tour, prévu pour 2027, viendra parachever cette révolution portée avec détermination par le parti Morena, sous l’impulsion d’abord d’Andrés Manuel López Obrador, puis de son héritière politique, Claudia Sheinbaum. Mais derrière le discours de la « justice du peuple » se profile un danger mortel : la politisation de la magistrature, l’érosion de son indépendance et, dans un pays déjà marqué par la violence et la corruption, l’ouverture d’une brèche pour l’influence des cartels criminels.

L’idée est aussi simple que radicale : si le peuple est souverain, pourquoi ne pas lui confier également le choix de ceux qui rendent la justice ? « Le peuple n’est pas ignorant », proclame Olivia Aguirre Bonilla, candidate à la Cour suprême, avec l’assurance de celle qui défend un principe sacré. « S’il peut élire un président, pourquoi pas des juges ? » Cette rhétorique est puissante, puisant dans le profond ressentiment envers un système judiciaire perçu comme distant, élitiste, parfois corrompu. Dans un pays où plus de 90 % des crimes restent impunis et où seuls 14 % des procédures judiciaires aboutissent à une condamnation, l’aspiration au changement est compréhensible. Mais la solution proposée par Morena risque d’être pire que le mal.

L’indépendance du pouvoir judiciaire est une conquête historique, un rempart contre les abus du pouvoir politique et les pressions de la société. Un juge élu par le peuple, aussi proche des citoyens qu’il puisse sembler, devient inévitablement un acteur politique. Il doit séduire l’électorat, naviguer dans les eaux troubles de la popularité, répondre aux humeurs de l’opinion publique. Comment pourra-t-il rendre un jugement impopulaire mais juste, lorsque son avenir dépend du vote ? Comment pourra-t-il résister aux pressions des puissants – politiques ou criminels – dans un pays où les cartels de la drogue exercent un pouvoir quasi étatique dans des régions entières ? Au Mexique, où les narcotrafiquants financent déjà des campagnes électorales locales et corrompent des fonctionnaires, cette réforme offre une occasion en or pour infiltrer le système judiciaire, en présentant leurs propres candidats ou en soumettant les autres par l’intimidation ou l’argent.

Le précédent bolivien, seul cas comparable, est un avertissement inquiétant. Depuis 2011, les juges de la Cour suprême bolivienne sont élus par le peuple, mais le résultat est une magistrature discréditée, enlisée dans des luttes politiques et incapable de garantir la justice. Lors des dernières élections, 40 % des votes ont été déclarés nuls, signe d’une défiance totale envers un système en crise profonde. Au Mexique, le danger est encore plus grand. La fragilité des institutions, la corruption endémique et la puissance du crime organisé créent un terrain propice à une dérive qui pourrait transformer les tribunaux en une extension du pouvoir politique ou, pire, des mafias. « Personne ne m’a élue », déclare Martha Magaña, juge fédérale qui a choisi de ne pas se présenter, avec la fermeté de celle qui sait que l’indépendance est le véritable bouclier de la justice. « C’est pourquoi je peux juger selon ma conscience, et non selon des convenances. »

Mais la réforme ne se limite pas à changer le mode de désignation des juges. Elle s’apparente aussi à un règlement de comptes avec une Cour suprême qui, ces dernières années, s’est révélée un obstacle pour le gouvernement de Morena. À plusieurs reprises, la haute cour a bloqué des initiatives législatives de López Obrador, s’attirant l’accusation d’être une caste au service d’intérêts économiques et politiques établis. « Ce sont eux qui ont détruit l’État de droit », tonne Gerardo Fernández Noroña, sénateur et figure idéologique du parti, dans un langage chargé de mépris pour une institution qui ose s’opposer à la volonté populaire. Pour Morena, la Cour suprême est un symbole de résistance conservatrice, un frein à la « transformation » du Mexique promise par López Obrador. Et la réforme, avec sa promesse de démocratisation, semble taillée sur mesure pour en réduire l’influence.

Le processus de sélection des candidats, lui, jette une ombre sur la crédibilité de l’ensemble de l’opération. Trois commissions ont examiné plus de 24 000 noms en un temps record, avec des sessions parfois expédiées en quelques minutes. Les critères ? Dix ans d’expérience juridique, un examen écrit et un tirage au sort public. Aucun contrôle approfondi, aucune vérification rigoureuse du passé des candidats. Dans un pays où la corruption est une pratique généralisée à tous les niveaux, cette légèreté ressemble à une invitation au chaos. Qui garantit que les candidats ne soient pas déjà compromis ? Qui empêchera les cartels, avec leurs ressources colossales, de placer leurs hommes sur les listes ? Le système, au lieu de renforcer la justice, risque de la transformer en une loterie où les plus cyniques l’emportent.

Et puis, il y a la question de la campagne électorale. Les juges-candidats devront descendre dans l’arène, faire des promesses, conquérir des voix. Dans un pays où la politique est déjà un théâtre de compromis et de clientélisme, comment imaginer que les futurs magistrats restent immunisés contre ces dynamiques ? Les élections judiciaires pourraient devenir un marché, avec des candidats contraints de chercher des financements, des soutiens politiques ou, pire, l’approbation de pouvoirs occultes. Et une fois élus, comment pourront-ils juger avec impartialité ceux qui les ont soutenus ?

Le Mexique se trouve ainsi à un carrefour périlleux. La réforme, présentée comme un triomphe de la souveraineté populaire, pourrait devenir une arme à double tranchant : d’un côté, un système judiciaire otage des émotions collectives ou des stratégies des partis ; de l’autre, une porte ouverte au crime organisé, qui contrôle déjà des pans entiers de l’État. Au nom du peuple, on risque de sacrifier l’essence même de la justice : sa capacité à être un phare impartial dans une mer de conflits et d’intérêts. Quand la balance de la justice penchera du mauvais côté, qui pourra sauver un pays déjà ébranlé par la violence et la méfiance ? Le Mexique mise sur son avenir, mais le prix de ce pari pourrait être son âme institutionnelle.

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