TRIBUNE – Sahel : La France partie, le chaos s’installe

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Un soldat français de l’opération Barkhane observe le désert sahélien depuis un hélicoptère, prêt à intervenir dans une zone instable du Mali, symbole du retrait français et du chaos grandissant au Sahel.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Douze ans après l’opération Serval, qui avait stoppé la marche des colonnes djihadistes vers Bamako, et trois ans après la fin de Barkhane, le Sahel se désagrège sous nos yeux.

Ce qui fut l’un des plus grands efforts militaires et diplomatiques français en Afrique depuis des décennies s’achève dans un silence gêné, tandis que les groupes terroristes regagnent du terrain, les États s’effondrent, et les populations perdent toute confiance dans leurs dirigeants.

 Le constat est brutal : là où la France s’est retirée, le chaos s’installe.

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L’illusion de la souveraineté retrouvée

En 2020, la junte militaire malienne, issue d’un coup d’État, promettait un nouveau départ. Elle accusait la France d’ingérence, dénonçait une “présence néocoloniale” et assurait qu’une coopération avec la Russie serait plus respectueuse de la souveraineté malienne.

Trois ans plus tard, la réalité a dissipé les illusions : les territoires se perdent, les civils fuient, et les capitales se barricadent.

La junte, tout en proclamant son indépendance, a livré son pays à la dépendance la plus cynique : celle de mercenaires étrangers.

Les hommes du groupe Wagner – désormais intégrés dans une structure appelée Africa Corps – n’ont pas apporté la sécurité, mais la peur. Leur stratégie repose sur la brutalité, les exécutions sommaires, et la propagande. Ils ne construisent pas d’États, ils consolident des régimes.

 Les gouvernements du Mali, du Burkina Faso et désormais du Niger ont cru pouvoir échanger une tutelle contre une autre. Mais ils découvrent qu’avec Moscou, la protection a un prix : celui de l’or, des concessions minières, et du silence.

Le résultat ? Des pays militairement affaiblis, diplomatiquement isolés, économiquement exsangues, et politiquement enfermés dans une logique d’autodestruction.

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Wagner : La Russie à visage armé

La Russie n’est pas au Sahel pour combattre le terrorisme. Elle est là pour affaiblir l’Occident, fracturer les alliances africaines et transformer la région en zone d’influence stratégique.

 Sous couvert d’aide militaire, elle étend un réseau d’influence fondé sur la désinformation, les ressources minières et la peur. Ses mercenaires ne stabilisent pas, ils exploitent. Ils s’installent là où les États se délient, y vendent leur “protection” et y extraient tout ce qu’ils peuvent avant de repartir.

Dans les zones où Wagner opère, les témoignages d’exactions se multiplient : massacres de civils, pillages, disparitions. Ces violences, loin d’éteindre la menace djihadiste, la nourrissent.

Chaque village frappé par des représailles arbitraires devient un vivier de recrutement pour les groupes islamistes.

Ainsi, sous la bannière de la “souveraineté retrouvée”, c’est la souveraineté qui disparaît.

Et la Russie, qui n’a ni la logistique ni la légitimité pour pacifier la région, installe le désordre comme stratégie.

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Le risque d’un califat sahélien

Pendant ce temps, les groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique étendent leur influence. Ils contrôlent désormais d’immenses territoires au Mali, au Niger et au Burkina Faso.

Ils taxent, recrutent, administrent. Ils sont devenus des acteurs politiques à part entière, profitant du vide laissé par les États et par le départ des forces occidentales.

Bamako, autrefois sauvée in extremis par l’intervention française, est aujourd’hui à portée d’une nouvelle offensive.

La perspective d’un califat sahélien n’est plus un fantasme. Ce serait un sanctuaire de la terreur, au cœur de l’Afrique de l’Ouest, capable de menacer simultanément le Maghreb, l’Afrique centrale et l’Europe.

Un tel foyer djihadiste aurait trois conséquences majeures :

• Militaire, en créant une base arrière pour des réseaux terroristes mondiaux ;

• Économique, en coupant les routes commerciales du continent et en alimentant les trafics ;


• Migratoire, en provoquant de nouveaux flux massifs vers la Méditerranée.

Ce qui se joue à Bamako, à Ouagadougou ou à Niamey n’est donc pas une crise africaine isolée. C’est un enjeu stratégique pour l’Europe entière.

Quand la France recule, la barbarie avance

On accuse souvent la France d’avoir échoué au Sahel, c’est oublier que sans elle, le Mali serait tombé dès 2013.

C’est oublier que Barkhane a neutralisé des milliers de combattants, démantelé des réseaux entiers et protégé des millions de civils. Et c’est oublier surtout que la France n’est pas partie par lassitude, mais par rejet.

Les campagnes anti-françaises, savamment orchestrées par Moscou, ont retourné les opinions publiques. Les mêmes qui réclamaient l’aide de Paris en 2013 l’ont conspuée en 2022.

 La propagande a fait croire qu’un mercenaire russe valait mieux qu’un soldat français. Aujourd’hui, la réalité s’impose, la Russie n’est pas un allié, elle est un prédateur.

La France, elle, a payé le prix du sang. Elle a défendu la région quand personne d’autre ne le faisait. Elle a agi par devoir, pas par intérêt. Mais on ne protège pas ceux qui ne veulent plus l’être.

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Un enjeu pour la France et pour l’Europe

Le désastre sahélien n’est pas une affaire lointaine. Il aura des répercussions directes sur notre sécurité. Un foyer terroriste durable au sud du Sahara menacerait non seulement nos partenaires africains, mais aussi nos frontières méditerranéennes. Il ouvrirait un corridor d’instabilité reliant la Libye à l’Atlantique, bouleversant les routes migratoires et les circuits criminels.

L’Europe, déjà fragilisée par les tensions migratoires et la montée des extrêmes, ne peut pas ignorer ce risque. Car un Sahel livré au chaos, c’est une Méditerranée menacée et une Méditerranée menacée, c’est une Europe vulnérable.

Reconstruire une politique de vérité

La France doit tirer les leçons de cette séquence. Elle ne doit pas renoncer au Sahel, mais repenser son approche : moins militaire, plus politique, plus partenariale.
Il faut rétablir le dialogue avec les sociétés civiles, soutenir les pays encore stables, investir dans l’éducation, la gouvernance et les économies locales.

Et surtout, il faut combattre la guerre informationnelle menée contre nous, car c’est d’abord dans les esprits que nous avons perdu le Sahel.

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La France n’a pas perdu, elle a été trahie

La chute du Mali, si elle advient, ne sera pas la défaite de la France, mais celle d’une illusion : celle qu’on pouvait bâtir un ordre sans elle. La France n’a pas échoué. Elle a été trahie — par des dirigeants qui ont préféré les slogans à la sécurité, et les mensonges de Moscou à la loyauté envers leurs alliés.

Mais l’histoire n’est pas finie.

Car tôt ou tard, les peuples du Sahel comprendront qu’on ne remplace pas une main tendue par un poing fermé.

Et quand ce jour viendra, la France devra être prête — non pas à revenir en sauveur, mais à revenir en partenaire lucide.

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