DÉCRYPTAGE – Iran : Le retour souterrain du nucléaire et la bataille de Bagdad

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Drapeau iranien flottant à côté d’un missile marqué du symbole nucléaire, sous un ciel orageux, illustrant le programme atomique et les tensions géopolitiques autour du nucléaire iranien.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

La stratégie du silence opérationnel

Téhéran avance à nouveau sous la surface. Selon les images satellites analysées par le Center for Strategic and International Studies, l’Iran a repris la construction d’un important site nucléaire souterrain à Pickaxe Mountain, près de Natanz, des mois après les frappes américaines et israéliennes qui avaient endommagé ses infrastructures clés. 

Derrière la reconstruction apparente se cache un redéploiement stratégique : déplacer sous terre l’essentiel du programme nucléaire pour le rendre invulnérable aux inspections et aux frappes ciblées. En agrandissant les tunnels et en camouflant les accès, le régime ne se contente plus de restaurer un site ; il bâtit une dissuasion invisible, inscrite dans le relief même du pays.

La fin de l’accord et le début d’une nouvelle ère

Le 18 octobre, Téhéran a officiellement déclaré l’expiration de ses engagements liés à l’accord nucléaire de 2015. Présentée comme conforme à la résolution 2231 du Conseil de sécurité, cette annonce marque en réalité la rupture définitive avec l’Occident. L’Iran demeure membre du Traité de non-prolifération, mais n’en respecte que la forme. La coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique est minimale. Rafael Grossi, son directeur général, insiste sur la nécessité du dialogue, mais la diplomatie avance dans le brouillard : l’Iran agit, le monde observe. Avec plus de 400 kilos d’uranium enrichi à 60 % et des installations souterraines renforcées, le pays revient au cœur du jeu stratégique, mais sur un terrain qu’il contrôle seul.

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L’Irak, pilier d’une influence à préserver

Parallèlement, le général Esmail Qaani, chef de la Force al-Qods, s’est rendu discrètement à Bagdad. Moins charismatique que Qassem Soleimani, mais tout aussi méthodique, Qaani a rencontré les chefs des factions chiites regroupées dans le Cadre de coordination pour apaiser les rivalités avant les élections irakiennes de novembre. L’objectif est clair : maintenir la cohésion du front chiite afin de garantir à l’Iran son ancrage politique et économique en Irak, maillon central de son « axe de résistance ». La visite intervient alors que l’influence iranienne se fragilise au Moyen-Orient : la mort de Hassan Nasrallah a affaibli le Hezbollah, la guerre de Gaza a laminé le Hamas, et la chute de Bachar al-Assad a amputé Téhéran de son principal relais syrien.

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De la projection militaire à la survie stratégique

Sous Qaani, la Force al-Qods adopte une logique de guerre hybride : moins de démonstrations militaires, davantage de coordination souple, de décentralisation du commandement et d’initiatives locales. L’Iran privilégie désormais la conservation de ses positions à leur expansion. L’enjeu n’est plus d’élargir l’axe de résistance, mais d’en maintenir la cohérence. Cette évolution reflète un réalisme nouveau : Téhéran comprend que la survie de son système passe par la résilience plus que par la confrontation ouverte. L’Irak, avec ses réseaux énergétiques et financiers profondément imbriqués avec ceux de l’Iran, devient à la fois sanctuaire et laboratoire de cette stratégie.

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Une guerre invisible entre Washington et Téhéran

Le même jour que la visite de Qaani, le secrétaire d’État américain Marco Rubio appelait le Premier ministre irakien Mohammed al-Souda­ni pour exiger le désarmement des milices pro-iraniennes. Les États-Unis identifient l’Irak comme le cœur de la puissance iranienne, non seulement par ses bases logistiques mais aussi par ses relais politiques. Face à cette pression, Téhéran opte pour une réponse asymétrique : renforcer sa présence discrète, multiplier les relais économiques et durcir sa posture nucléaire. Pickaxe Mountain et Bagdad sont les deux faces d’une même stratégie — survivre à l’étouffement par la dissimulation, la patience et la cohérence.

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Une dissuasion par l’ombre

Le nouvel Iran ne brandit plus son pouvoir, il l’enfouit. Sous terre à Natanz, dans les ruelles de Bagdad ou dans les réseaux bancaires de la région, Téhéran construit une résistance silencieuse. Le programme nucléaire n’est plus seulement une arme de dissuasion ; il devient un langage politique. En reconstruisant Pickaxe Mountain, l’Iran ne défie pas seulement ses adversaires : il leur rappelle que, malgré les sanctions et les frappes, il reste un acteur incontournable du Moyen-Orient. La discrétion du général Qaani, loin d’un signe de faiblesse, traduit une mutation du pouvoir iranien : celle d’un régime qui préfère désormais la profondeur stratégique à la gloire médiatique.

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