
Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
« La comédie diplomatique menace de tourner à la farce » nous rappelle fort à propos Stefan Zweig, l’auteur du célèbre Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen[1]. Et c’est bien le funeste sort qui risque de frapper l’actuelle diplomatie du plus jeune Président de la Cinquième République. Rien n’y fait en dépit de son agitation permanente. Les échecs succèdent aux échecs.
Le dernier a pour nom pleine reconnaissance de l’État de Palestine annoncé à grands renforts de belles paroles (« Le temps est venu ») avec son discours déclamé le 22 septembre 2025 dans la salle de l’Assemblée générale de l’ONU. Jour pour jour, une semaine après, le 29 septembre 2025, Donald Trump annonce son plan pour Gaza salué par la terre entière. Balayée, oubliée, la superbe initiative franco-saoudienne qui devait changer la face de l’Orient compliqué. Qui plus est, Emmanuel Macron est rattrapé par la patrouille le 6 octobre 2025 avec la farce qui fait autant rire que pleurer tant dans les chaumières de notre Douce France que dans les principales chancelleries de la planète[2]. L’annonce de la composition d’un nouveau gouvernement Lecornu (5 octobre 2025) est promptement suivie de sa démission (6 octobre 2025)[3]. Un exploit : le gouvernement le plus court de la République. Cette mascarade constitue le reflet du grand décrochage de la France dans le concert des nations qui nécessiterait un grand recentrage pour éviter de faire sombrer notre diplomatie dans le ridicule.
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Diagnostic : Le grand décrochage
Conséquence indubitable d’une situation intérieure catastrophique, la France contemple, sans encore en prendre toute la mesure, le spectacle désolant d’une action extérieure problématique.
Une situation intérieure catastrophique
À la lumière de l’actualité la plus récente, le moins que l’on puisse dire est que tous les indicateurs sont passés au rouge au cours des dernières années, des derniers mois. Citons pêle-mêle quelques exemples des brillants succès du « Mozart de la finance » : instabilité politique inimaginable ; situation sécuritaire préoccupante ; déficit budgétaire préoccupant ; déficit commercial extérieur croissant ; déficit de la sécurité sociale hors de contrôle ; progression inquiétante des faillites des entreprises ; de la pauvreté ; du narcotrafic ; de la fracturation pour ne pas dire d’ensauvagement d’une société déboussolée (« La France Orange mécanique ») … Sur quoi cela débouche-t-il ? Sur un Président de la République qui se met en retrait, laissant à la manœuvre d’impuissants gouvernements chargés de faire rouler le rocher de Sisyphe[4]. « Champion mon frère ». Depuis l’épisode de la dissolution manquée de juin 2024, nous assistons au spectacle navrant d’un Chef de l’État qui ne cesse de se mettre en avant sur la scène internationale pour tenter de faire oublier ses énormes déconvenues dans l’Hexagone. Cerise sur le gâteau, la mascarade de la démission de Sébastien Lecornu vient ajouter à la confusion que relève la presse étrangère avec une pointe d’ironie non feinte à l’endroit de la « Grande Nation ». « Triple échec », « chaos » … forment les grands titres de la presse étrangère du 7 octobre 2025. Si certains, en France, semblent s’amuser d’une actualité politique qui tourne parfois au vaudeville, ce n’est pas le cas de nos confrères étrangers. La presse internationale se montre en réalité très inquiète pour nous. Tous notent, au passage, que la Bourse de Paris a chuté de près de 2 %, lundi vers 9 heures, juste après l’annonce de la démission de Sébastien Lecornu… Le Times écrit « Le Président Macron est un canard boiteux à court d’options », d’autres mettent en exergue son impopularité record. Ceci entraîne mécaniquement des conséquences fâcheuses sur la marge de manœuvre diplomatique d’Emmanuel Macron.
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Une action extérieure problématique
Trop orgueilleux, trop insouciant du destin de la France et des Français, trop sûr de ses capacités et de son charisme, trop habitué à piétiner le réel pour faire confiance à l’idéologie, aux réseaux, aux manœuvres, Emmanuel Macron ne peut/veut plus voir que le piège de son inconstance et de ses échecs graves s’est refermé sur lui[5]. Un constat d’évidence s’impose. Sa voix n’est ni audible, ni crédible sur la scène internationale. C’est pourquoi, certains, en France, l’appellent à une « introspection et une prise de conscience salutaire pour la France ». Introspection et prise de conscience salutaire aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Hexagone. Nous n’en sommes malheureusement pas encore là tant Jupiter n’y est toujours pas préparé. Plus que jamais le roi est nu comme un vulgaire ver de terre. Et cela encore plus après la mascarade Lecornu[6]. La France est clairement désignée comme l’homme malade de l’Europe. Elle n’y inspire ni confiance, ni respect. Et, c’est le moins que l’on soit autorisé à dire. L’étranger constitue le meilleur miroir de l‘impuissance jupitérienne. « À Paris, on minimise. À Berlin, on s’inquiète. À Bruxelles, on soupire. À Londres, on ironise. Lecornu n’est qu’un symptôme, pas la maladie. Le vrai problème, c’est un Président qui règne sans gouverner, qui parle sans écouter, qui décide sans prévoir. Depuis son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron s’était rêvé en Jupiter, au-dessus de la mêlée. Il n’en reste plus qu’un Narcisse politique, prisonnier de son reflet dans les sondages et les selfies diplomatiques. Son pouvoir s’est dissous dans la communication, son autorité dans la précipitation »[7]. Qui plus est, nos interlocuteurs étrangers apprécient de moins en moins les leçons de morale que leur administre, à intervalles réguliers, un Président au pied du mur de ses facéties. Alors que la situation semble désespérée, que souhaitent nos partenaires ? « Un geste d’humilité, donc de grandeur ». Une dissolution ?[8] Une démission ? En serait-il capable pour sauver ce qui peut encore l’être, l’honneur perdu de la France qui tombe.
Aux grands maux les grands remèdes ! Le voulons-nous ? Le pouvons-nous ?
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Remède : Le grand recentrage
Aujourd’hui, un sursaut salutaire s’impose à notre élite politique, substituer à une diplomatie idéaliste du temps présent une diplomatie réaliste pour un futur aussi incertain qu’imprévisible.
Une diplomatie du présent idéaliste
Slogans creux le plus souvent en anglais ; circonvolutions pédantes ; anathèmes proférés à l’endroit des infréquentables du concert des nations ; propositions irréalistes mal préparées ; espoirs vains, organisation de conférences inutiles, humiliations assumées par Algériens, Iraniens, Russes, États du Sahel … conduisent la diplomatie jupitérienne dans une impasse. Le marchand d’illusions ne fait plus illusion auprès de ses homologues étrangers lassés par ses fanfaronnades, ses objurgations. Il ne comprend toujours pas, que dans la diplomatie comme dans d’autres sciences humaines, « Le bien ne fait pas de bruit, le bruit ne fait pas de bien » (Saint François de Salles). En un mot comme en cent, ceux qui se livrent à la diplomatie du spectacle, à la diplomatie des apparences ne font en réalité que brasser de l’air tels de vulgaires moulins à vent. Aujourd’hui, la diplomatie française est à bout de souffle. Tel un bateau ivre, elle est ballotée par les tempêtes et autres vents mauvais, ayant de moins en moins de prise sur les évènements internationaux paroxystiques. Se voulant actrice d’un monde en total recomposition, elle n’en est, en réalité, qu’une spectatrice malgré elle. Le ridicule l’emporte sur le pathétique. La France semble revenue au poison du régime des partis de la Quatrième République avec son cortège d’avanies, d’humiliations sur la scène internationale. Encore une fois, bravo l’artiste. Celui qui devait projeter la diplomatie française vers le futur qui la ramène vers un passé peu glorieux que l’on croyait définitivement révolu. Par ailleurs, l’instabilité politique entraîne à la fois une quasi-stagnation économique[9] et une quasi-paralysie de la diplomatie jupitérienne. Les experts attendent avec une impatience non feinte la notation prochaine de l’agence Moody’s (24 octobre 2025)[10]. Ils sont servis. Durant cette mascarade digne d’un mauvais vaudeville, les mots de Gaza et d’Ukraine disparaissent du champ lexical franco-français. On l’aura compris, l’heure est grave. Elle nécessite des choix délicats et courageux afin que la diplomatie française ne sombre corps et biens tel le Titanic.
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Une diplomatie du futur réaliste
D’entrée de jeu, quelques questions préjudicielles doivent être posée pour circonscrire le périmètre du débat sur l’avenir de la diplomatie française. Comment raisonnablement s’atteler à un changement de pied dans l’approche diplomatique française baroque à plus d’un titre tant elle semble déconnectée du réel de la France et du monde de 2025 ? Comment parvenir à ramener à un minimum de raison un Président « désynchronisé » du monde qui préfère le chaos à l’effacement ?[11] Comment impliquer, autant que de raison, les diplomates français – en activité ou retraités – dans une réflexion de grande échelle sur l’adaptation indispensable de notre outil diplomatique aux multiples contraintes qui pèsent sur lui ? Comment inciter les centres de recherche français à se livrer à d’utiles cogitations sur le même sujet ? La tâche est immense mais le jeu en vaut la chandelle tant l’enjeu est crucial, vital pour l’avenir de la diplomatie qui se veut toujours être une puissance moyenne d’équilibre. Ce n’est qu’à ce prix que notre pays pourra espère tenir son rang – si modeste fût-il – dans le concert des nations, dans la cacophonie ambiante. Ce n’est qu’à ce prix que notre pays pourra espérer écrire une page totalement nouvelle dans l’histoire troublée des relations internationales. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons retrouver notre place dans un monde où prévalent Realpolitik et puissance. Faute de quoi, la partie est perdue d’avance et la France continuera d’étaler son actuelle faiblesse. La perspective d’un retour à un quelconque statu quo relève du mirage. Aujourd’hui, la réalité a repris ses droits. Elle nous incite à une grande dose d’humilité et à une petite dose d’arrogance., ce qui est loin d’être chose aisée dans notre Douce France. Cédons un peu pour ne pas tout perdre d’un seul coup ! Comme le rappelle le général de Gaulle : « … l’essentiel pour jouer un rôle international, c’est d’exister par soi-même, en soi-même, chez soi. Il n’y a pas de réalité internationale qui ne soit d’abord une réalité nationale ». On ne saurait mieux dire si l’on souhaite transformer l’étrange défaite en étrange victoire.
L’étrange défaite ?
« La diplomatie n’est pas une affaire de chimie personnelle mais elle consiste à apporter des solutions à des problèmes concrets » déclare en 2017 notre fringuant nouveau Président de la République. Que n’a-t-il suivi ce conseil avisé tant sur la scène intérieure que sur la scène internationale ? Nous nous trouvons au cœur des méandres de la pensée complexe d’Emmanuel Macron. L’homme qui possède un réel talent pour faire du compliqué avec du simple par pur esprit de contradiction. L’homme dont l’action diplomatique est marquée par le choc des contraires. Sa posture d’évitement n’est guère tenable aujourd’hui. Un grand dessillement est nécessaire pour conjurer la chronique d’une catastrophe annoncée. L’essentiel est d’aller voir derrière l’horizon pour anticiper le futur sans quoi rien ne sera possible. Entre le dire et le faire, il y a la page blanche qu’il faut commencer par noircir avant d’en être réduit à broyer du noir. La tâche est aussi épineuse que mal aisée dans un temps de transition entre le monde d’hier et celui de demain. Transition qui place la diplomatie française – ou ce qu’il en reste – en porte-à-faux. Fini le temps des péroraisons martiales aussi inutiles que contreproductives. Bienvenue dans le monde du réel loin des chimères. Comme le déclare Hamlet : « Être grand, c’est soutenir une grande querelle ». Ce n’est qu’au prix de tels sacrifices que notre pays pourra éviter le grand bond en arrière de sa diplomatie.
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Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Stefan Zweig, Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen, Les Belles Lettres, 1942.
[2] Jean Kast, Démission de Sébastien Lecornu : le chaos français vu de l’étranger, www.bvoltaire.fr , 7 octobre 2025.
[3] Un gouvernement mort-né, www.bertrand-renouvin.fr , 6 octobre 2025.
[4] Bruno Cautrès, La politique française est devenue baroque, Le Monde, 8 octobre 2025, p. 32.
[5] Marc Baudriller, Macron : l’entêtement du forcené, www.bvoltaire.fr , 6 octobre 2025.
[6] Alexandre Raoult, La démission du gouvernement Lecornu : le régime s’essouffle, la nation s’interroge, www.lediplomate.media , 7 octobre 2025.
[7] Olivier d’Auzon, Macron, la farce de trop : Quand la France vue de l’étranger se couvre de ridicule, www.lediplomate.media , 7 octobre 2025.
[8] Nathalie Segaunes, Emmanuel Macron laisse planer la menace de la dissolution, Le Monde, 8 octobre 2025, p. 8.
[9] Éric Albert/Sophie Fay, L’instabilité politique, cause de la quasi-stagnation économique, Le Monde, 8 octobre 2025, p. 13.
[10] Marc Angrand, Les marchés financiers contraints de s’habituer à la valse des gouvernements, Le Monde, 8 octobre 2025, p. 13.
[11] Étienne Campion, « Désynchronisé » du monde, pourquoi Macron préfère le chaos à l’effacement, www.marianne.net , 7 octobre 2025.
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