DÉCRYPTAGE – Xi-Trump : Le retour de la guerre froide économique ?

Shares
Deux dirigeants discutant devant les drapeaux de leurs pays, symbolisant la rivalité économique et diplomatique entre deux grandes puissances mondiales.
capture d’écran

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

La revanche de l’État sur le marché

La rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping, en marge du sommet de l’Apec en Corée du Sud, dépasse de loin le cadre diplomatique. Elle marque le tournant d’une époque : celle où la mondialisation dérégulée cède la place à un monde de rivalités structurées, dominé par les logiques étatiques. Après trois décennies d’idéologie libre-échangiste, la souveraineté économique redevient l’axe central du pouvoir. L’illusion d’un marché global autorégulé s’effondre, et la politique reprend le dessus sur l’économie.

Les États-Unis et la Chine incarnent aujourd’hui les deux visages d’un même phénomène : la fusion du capitalisme et de la puissance publique. Trump a bâti son projet sur la réindustrialisation, le rapatriement des chaînes de production et la protection des technologies américaines. Xi Jinping, de son côté, a renforcé le rôle de l’État-parti dans l’économie, transformant la Chine en une puissance hybride où l’efficacité capitaliste coexiste avec un contrôle politique total. Leur affrontement symbolise la fracture d’un monde divisé entre deux philosophies économiques et deux conceptions de la souveraineté.

À lire aussi : ÉCONOMIE – Nigeria : La revanche du géant africain

De la mondialisation fluide à l’interdépendance surveillée

Le « découplage » sino-américain ne signifie pas une séparation absolue, mais une reconfiguration des dépendances. Les chaînes d’approvisionnement ne disparaissent pas, elles se déplacent. L’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine et l’Australie deviennent des zones tampons où les flux économiques se recomposent pour contourner les barrières douanières et les sanctions. Cette interconnexion à géométrie variable traduit la naissance d’un monde fragmenté : chaque pays cherche à garantir son autonomie tout en restant intégré dans des réseaux de production mondiaux.

Mais cette interdépendance reste piégée dans un labyrinthe juridique. Un composant américain intégré à un produit taïwanais peut tomber sous le contrôle de Washington ; un élément chinois dans un produit européen peut nécessiter l’autorisation de Pékin. Le commerce mondial est devenu un champ de mines légales et technologiques. Chaque flux de marchandises est désormais accompagné de licences, d’exemptions et de restrictions : une bureaucratie de la puissance.

Les frontières invisibles du pouvoir

Sous la surface de la mondialisation, on découvre un réseau dense de frontières invisibles. Les États imposent leurs lois au-delà de leurs territoires, étendant leur souveraineté par le droit et la norme. Les États-Unis utilisent leurs sanctions extraterritoriales pour contraindre leurs alliés ; la Chine répond par des contrôles d’exportation et la constitution de chaînes d’approvisionnement « patriotiques ». L’entreprise transnationale, hier symbole d’ouverture, devient aujourd’hui un instrument de stratégie nationale.

Les filiales étrangères de grands groupes sont prises en otage des logiques souveraines : en Russie, plusieurs sociétés européennes ont vu leurs actifs saisis ou nationalisés ; dans le domaine des semi-conducteurs ou du numérique, les mêmes tensions se reproduisent. Le capital privé devient une arme dans une guerre économique permanente.

À lire aussi : DÉCRYPTAGE – Ukraine : La corruption parlementaire au cœur de la guerre d’usure

La sécurité avant l’efficacité

Le paradigme dominant n’est plus celui du profit, mais celui de la sécurité. L’énergie, les télécommunications, les matières premières critiques : tous les secteurs vitaux sont désormais placés sous tutelle politique. L’Europe a appris cette leçon à ses dépens avec le gaz russe : ce qui fut un partenariat économiquement rationnel s’est transformé en dépendance stratégique insupportable. Les sanctions et les diversifications imposées ont un coût, mais ce coût est désormais considéré comme le prix de la liberté.

Le même mécanisme s’applique à la 5G, où le bannissement des fournisseurs chinois a provoqué des retards et des surcoûts pour les opérateurs européens. Quant au « reshoring » industriel, il se heurte à la réalité : produire localement coûte plus cher et réduit la compétitivité. Mais la politique a pris le pas sur l’économie. Ce qui compte, c’est le contrôle des chaînes et la résilience nationale.

Le retour de l’État stratège

L’État n’est plus simple régulateur, il est redevenu stratège. Partout, les gouvernements fixent des règles de comportement : interdictions de commercer avec certains partenaires, obligations d’achat, quotas d’importation, limitations d’investissement. L’intervention publique est redevenue normative, coercitive et parfois extraterritoriale. Aux États-Unis, le protectionnisme se drape dans le discours de la sécurité nationale ; en Chine, la planification d’État est assumée ; en Europe, la sur-réglementation étouffe l’initiative sans garantir l’indépendance.

Ce nouveau dirigisme global transforme le droit en arme. Sanctions, embargos, restrictions à l’exportation, gel d’actifs, clauses de sécurité économique : autant d’outils utilisés pour affaiblir l’adversaire sans recourir aux armes. La guerre économique s’impose comme la continuation de la guerre par d’autres moyens.

L’Europe dans la tenaille sino-américaine

Le Vieux Continent reste le maillon faible de cette confrontation. Dépourvue d’une véritable politique industrielle commune, l’Union européenne agit de manière dispersée. Chaque pays protège ses secteurs clés — les semi-conducteurs aux Pays-Bas, l’automobile en Allemagne, la défense en France — mais sans coordination stratégique. Les entreprises européennes se trouvent ainsi soumises à des injonctions contradictoires : respecter les sanctions américaines ou conserver l’accès au marché chinois. Dans ce dilemme, l’Europe apparaît davantage comme un champ de bataille que comme une puissance autonome.

Le rêve d’« autonomie stratégique » se heurte au mur des réalités : dépendance technologique, faiblesse du capital-risque, absence d’un véritable fonds souverain européen. Tant que le continent ne disposera pas d’instruments financiers et industriels à l’échelle du défi, il restera exposé aux pressions extérieures.

À lire aussi : EXCLUSIF – Le Grand Entretien du Diplomate avec Édouard Chanot, auteur de : Brèche dans le mainstream – L’âge des alternatives médiatiques

La mondialisation militarisée

Le commerce mondial n’a pas disparu ; il s’est militarisé. Les routes commerciales deviennent des corridors stratégiques, les données numériques remplacent le pétrole comme ressource critique, et les microprocesseurs sont les nouvelles armes de la puissance. Le langage du marché s’est fondu dans celui de la géopolitique.

Trump et Xi représentent deux formes différentes mais convergentes de la même logique : celle de la souveraineté économique absolue. L’un défend la suprématie du capital national ; l’autre, la primauté du Parti sur le marché. Dans les deux cas, la puissance économique n’est plus un moyen, mais une fin : la garantie de la survie politique et de l’indépendance stratégique.

Vers un monde sans neutralité

Le sommet de Séoul ne mettra pas fin à la confrontation. Il consacrera l’existence d’un monde où la neutralité n’existe plus. Chaque État, chaque entreprise, chaque chaîne de valeur doit choisir un camp. Les zones grises se rétrécissent, les alliances économiques deviennent des alliances politiques.

Derrière les sourires diplomatiques, le message est clair : la globalisation libre et ouverte est morte. Ce qui émerge, c’est une mondialisation sous tutelle, régie par la loi des puissances. Le XXIe siècle ne sera pas celui de l’économie mondiale, mais celui des économies souveraines. Entre Washington et Pékin, la planète entre dans une ère où le marché obéit à la géopolitique, et où les règles du commerce deviennent les frontières d’une nouvelle guerre froide économique.

À lire aussi : DOCUMENTAIRE – Nul Ne Saura, la série évènement sur la DGSE continue


#XiTrump, #GuerreFroideÉconomique, #SouverainetéÉconomique, #MondialisationFragmentée, #DécouplageSinoAméricain, #CapitalismeD’État, #ÉtatStratège, #ChaînesDApprovisionnement, #InterdépendanceÉconomique, #PuissanceChinoise, #ReindustrialisationUS, #TechnologieCritique, #ExportControls, #SécuritéÉconomique, #RivalitéTechnologique, #Géoéconomie, #PolitiqueÉconomiqueGlobale, #Protectionnisme, #HybrideÉtatMarché, #EuropeEntreDeuxFeux, #AutonomieStratégique, #MarchéSousTutelle, #DiplomatieÉconomique, #FluxDeValeur, #AllianceÉconomique, #SanctionsExtraterritoriales, #SouverainetéNumérique, #RéseauxProductifs, #ChaînesDeValeur, #IndustrieStratégique, #ÉtatPartiChine, #CapitalNationalUS, #CommerceMilitarisé, #ÉconomieMondiale2025, #PuissanceTechnologique, #FragilitéDesFlux, #GlobalisationPostLibérale, #ÉtatVsMarché, #MondeBipolaireÉconomique, #StratégieIndustrielle.

Shares
Retour en haut