Par Olivier d’Auzon
Depuis des mois, la tension s’épaississait dans la Corne de l’Afrique comme un orage prêt à éclater. Il semblait inévitable que l’Éthiopie et l’Égypte s’affrontent par procuration sur le sol somalien. Dans ce jeu d’échecs où chaque pièce avançait avec la rigidité du destin, les alliances paraissaient gravées dans le marbre : l’Éthiopie, en quête d’un accès vital à la mer ; la Somalie, prisonnière des influences de ses parrains égyptien et érythréen ; le Somaliland, acteur marginal cherchant à exister au milieu des géants, souligne volontiers, le géopolitologue Andrew Korybko.
C’est dans ce contexte brûlant qu’Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, s’est rendu à Mogadiscio, répondant à l’invitation de Hassan Sheikh Mohamud (HSM), le président somalien. Un voyage qui, en d’autres temps, aurait semblé ordinaire. Mais dans cette atmosphère lourde, il prenait la forme d’un acte de défi ou, peut-être, d’un geste d’apaisement.
Une course contre le chaos
La genèse de cette crise remonte à janvier 2024, lorsque l’Éthiopie, exaspérée par les coûts exorbitants imposés par Djibouti pour son accès à la mer, signe un protocole d’accord avec le Somaliland.
Ce territoire autoproclamé indépendant offrait à Abiy Ahmed une alternative, un port et une ouverture vers l’océan. Mais cet accord était un camouflet pour la Somalie, une gifle diplomatique qui ne pouvait rester sans réponse.
HSM, pris entre son indignation et les pressions de ses alliés, adopta une posture belliqueuse.
L’Égypte et l’Érythrée, elles, virent dans cette crise une opportunité : attiser les braises, pousser la Somalie à durcir sa position, isoler l’Éthiopie. Très vite, les discours se firent plus tranchants, les menaces plus explicites. L’on murmurait que des armes circulaient, que des milices s’organisaient.
À l’approche de 2025, la situation semblait hors de contrôle. La Mission de l’Union africaine en Somalie (ATMIS) touchait à sa fin, laissant place à AUSSOM, une nouvelle force régionale. Un changement de garde dans lequel l’Éthiopie voyait une chance, mais qui, à défaut d’accord, pouvait aussi précipiter l’embrasement.
L’intervention Turque : Un miracle diplomatique
Alors que les événements suivaient la pente naturelle de la guerre, une main inattendue s’interposa. La Turquie, forte de ses liens avec la Somalie et l’Éthiopie, organisa une médiation à la mi-décembre. Ce fut une négociation tendue, où chaque mot pesait plus lourd qu’une balle.
Il fallut des semaines pour parvenir à un compromis tacite : l’accord entre l’Éthiopie et le Somaliland ne serait pas officiellement annulé, mais suspendu de facto. En échange, l’Éthiopie serait intégrée à AUSSOM. Une concession pragmatique, un équilibre précaire, mais suffisant pour éteindre la mèche.
La surprise fut totale. Peu de dirigeants régionaux avaient anticipé ce rapprochement soudain. L’Égypte, qui comptait sur une montée des tensions pour fragiliser son rival éthiopien, se retrouva prise de court. L’Érythrée, qui rêvait de voir l’Éthiopie acculée, dut revoir ses calculs. Et le Somaliland, trahi par son allié d’hier, se retrouva orphelin de soutien.
L’après-guerre qui n’aura pas eu lieu
Une guerre évitée est une guerre qui laisse des traces, même sans combats. Le rapprochement éthio-somalien, aussi soudain qu’inattendu, rebat les cartes régionales. L’Égypte comprend-elle qu’elle ne peut indéfiniment jouer les incendiaires en Afrique de l’Est ? Le Somaliland trouvera-t-il de nouveaux alliés pour obtenir la reconnaissance qu’il convoite ? Et l’Érythrée, privée de ses leviers d’influence, finira-t-elle par tendre la main à son vieux rival éthiopien, une fois l’ère Isaias Afwerki révolue ?
Les certitudes d’hier sont balayées. Le destin, une fois encore, a préféré la ruse à la tragédie. Mais pour combien de temps ?
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