Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
La signature récente du pacte de défense entre l’Arabie saoudite et le Pakistan formalise une coopération militaire ancienne et lui donne une portée inédite : une attaque contre l’un sera considérée comme une attaque contre l’autre. Cet accord, qui redessine la carte des équilibres stratégiques au Moyen-Orient et en Asie du Sud, intervient dans un contexte de désengagement américain et de recomposition régionale où se croisent rivalités nucléaires et jeux d’alliances antagonistes.
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Une alliance ancienne mais désormais formalisée
La signature du pacte de défense entre l’Arabie saoudite et le Pakistan formalise une coopération militaire ancienne et lui donne une portée inédite : une attaque contre l’un sera considérée comme une attaque contre l’autre.
L’accord, négocié depuis des années, intervient dans un contexte d’incertitude stratégique pour le Golfe, secoué par les frappes israéliennes à Doha contre des responsables du Hamas – frappes qui auraient reçu l’aval de Washington.
Pour Riyad, cette alliance offre une assurance face aux ambitions régionales de l’Iran et pourrait, en cas de crise, lui garantir un accès indirect au parapluie nucléaire pakistanais. Islamabad, seule puissance nucléaire musulmane, n’a jamais adopté de doctrine de non-emploi en premier. Cette ambiguïté renforce la dissuasion mais accroît aussi le risque d’escalade.
Le pacte a été signé par Mohammed ben Salmane et Shehbaz Sharif en présence du chef d’état-major Asim Munir, symbole du rôle central de l’armée pakistanaise dans les choix stratégiques du pays. Pour Islamabad, c’est aussi une manière de montrer qu’elle reste un acteur pivot entre Washington, Pékin et les monarchies du Golfe.
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Vers une recomposition des blocs régionaux
Comme le souligne l’islamologue Othman El Kachtoul, « l’Arabie saoudite, longtemps pilier du dispositif de sécurité américain au Moyen-Orient, amorce un tournant de grande portée. En signant un pacte de défense avec le Pakistan, seule puissance nucléaire du monde musulman, Riyad redessine les contours d’un ordre régional en mutation. »
En effet, au-delà de l’accord bilatéral, c’est un véritable jeu d’alliances à haut risque qui se dessine. Tandis que le Golfe, emmené par l’Arabie, s’aligne partiellement sur un Pakistan proche de la Chine et de la Russie, Israël resserre ses liens avec l’Inde, rivale historique du Pakistan et également dotée de l’arme nucléaire.
Ce processus tend à structurer deux blocs antagonistes : un axe Golfe–Pakistan d’un côté, Inde–Israël de l’autre. Une configuration lourde de conséquences dans une région où les équilibres sont déjà précaires.
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L’érosion de la centralité américaine
L’accord saoudo-pakistanais illustre également un désengagement progressif vis-à-vis de la tutelle sécuritaire américaine. Comme le rappelle Othman El Kachtoul : « Depuis l’attaque contre les installations pétrolières saoudiennes en 2019, non suivie d’une riposte américaine, la confiance s’effrite. L’absence de réaction ferme aux frappes sur Abu Dhabi en 2022, puis la tolérance perçue envers les actions israéliennes à Gaza et au Qatar, ont achevé d’éroder la centralité de Washington dans les calculs sécuritaires du Golfe. »
Ainsi, les monarchies du Golfe cherchent désormais de nouvelles garanties, quitte à flirter avec des alliances croisées et instables, s’ouvrant vers Pékin, Moscou et Islamabad.
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Le risque d’importation du conflit indo-pakistanais
L’accord inquiète cependant l’Inde, rivale historique du Pakistan, et pourrait ajouter une dimension nucléaire aux crises futures en Asie du Sud. Si la dissuasion fonctionne, ce pacte pourrait stabiliser la région ; mais si les tensions s’aggravent, il pourrait devenir un multiplicateur de conflits.
Comme le souligne encore El Kachtoul : « En s’insérant dans les rivalités indo-pakistanaises, le Golfe pourrait contribuer à importer une conflictualité nucléaire asiatique dans un Moyen-Orient déjà saturé de tensions. »
En parallèle, le partenariat stratégique entre Israël et l’Inde, qui s’intensifie dans les domaines militaires et technologiques (cyberdéfense, systèmes antimissiles, lutte contre les groupes islamistes armés), constitue une réponse indirecte à l’axe Riyad–Islamabad.
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L’alliance de défense entre Riyad et Islamabad est donc à double tranchant : gage de sécurité pour les monarchies du Golfe et symbole de l’émancipation stratégique vis-à-vis des États-Unis, elle est aussi un pari risqué. En s’adossant au Pakistan, puissance nucléaire ambiguë et rivale de l’Inde, l’Arabie saoudite exporte dans le Moyen-Orient la logique d’un conflit sud-asiatique aux répercussions incalculables.
Dans un monde multipolaire en recomposition, cet accord illustre parfaitement les recompositions fluides, opportunistes, mais dangereusement instables des alliances contemporaines.
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